Longtemps
j'ai marché.
Parfois
je trouvais refuge en de luxuriantes forêts qui me laissaient à
penser que j'avais atteint mon Eden. Ecrin bigarré et chatoyant,
chantant et envoûtant. Pourtant, toujours il me fallait poursuivre,
perdant bien vite tout intérêt pour ces saveurs exotiques, ce
foisonnement, cette débauche qui finissait par laisser dans ma gorge
un léger goût d'écœurement.
Venaient
des étendues désertiques, marche longue et harassante, à pas
traînants, à perte de vue cette immensité désolée qui asséchait
ma bouche, à l'image du paysage. Seule une ombre, mon ombre,
m'accompagnait, simulacre de présence rendant la solitude plus
pesante encore.
A
de rares occasions, c'est une vallée à l'herbe tendre qui
m'accueillait, me retenait un temps dans son creux douillet, et mon
âme chantonnait, telle la rivière au flot serein qui coulait en son
sein et dans laquelle je prenais maints plaisirs sensuels à me
baigner, me prélasser, me perdre et me fondre. Le temps se
suspendait. Et pourtant, l'appel retentissait à nouveau, je
reprenais mes errances, aspirant à trouver l'ultime foyer.
J'y
parvins un jour, ou plutôt je le cru. Un petit port, lové dans sa
crique, chamarré et bruyant, grouillant de vie et de parfums. Je m'y
sentis instantanément à l'aise, arpentant les vastes avenues comme
les sombres ruelles, rêvant souvent sur ses quais, bercée du récit
des marins, m'imaginant partager ces rocambolesques aventures.
Et
puis, le port se fit désert, la vie trépidante et joyeuse fit place
au silence et à l'absence. Plus de goélettes à la grand-voile
tendue pour s'imaginer accoster de lointains rivages où réinventer
sa vie. La tête vide, je repris mon périple, traînant les pieds,
lourds du poids de mes regrets, de mes rêves inassouvis.
De
nouveau j'étais à l'orée d'un désert, mes pieds s'écorchaient
sur la rocaille, saignant à l'instar de mon cœur, mon cerveau
bouillonnait sous l'ardente chaleur du jour alors que je grelottais
la nuit, recroquevillée, tétanisée, me demandant si le matin venu,
j'aurai la force de repartir, sans savoir pour où, vers quoi. Je ne
comptais plus les semaines, les mois, machinalement, mécaniquement,
je m'obstinais, un crépuscule, une aube après l'autre.
Imperceptiblement,
le paysage se fît différent, je ne m'en rendis compte qu'à
d'infimes détails d'abord. Mon pas se fît peu à peu plus vaillant,
s'allongea bientôt jusqu'à devenir une ample foulée, motivée par
la vision, là bas tout au loin, si loin encore, d'une imposante
enceinte, émergeant de la brume de chaleur, telle une oasis de
pierre.
Alors
que j'étais prête à courir pour l'atteindre au plus vite,
curieusement je ralentis, comme si tout à coup une peur sourde,
irraisonnée me faisait craindre de m'en approcher. Le doute,
l'incertitude, m'enserraient, me laissant haletante et pantelante
alors que j'en distinguais plus clairement les contours.
La
muraille, haute et écrasante, intimidante, me maintint un moment à
distance, le souffle court et palpitant, avant que je ne me résolve
à en faire le tour, espérant découvrir un accès pour y pénétrer.
Je
mis plusieurs jours à cette entreprise, ébahie par la circonférence
de cette cité dont les proportions et la défense laissait à
présager des merveilles, pour être ainsi protégée. La crainte fit
place à l'impatience, le doute à l'envie, et quand enfin je parvins
devant les battants de l'immense portail, unique ouverture de cette
forteresse, je tombais à genoux, écoutant avec ravissement, les
sons étouffés qui m'en parvenaient. Doux babil des oiseaux,
gargouillis cristallin des fontaines, rire cascadant et rimes
résonnantes de poèmes fleuris que j'imaginais déclamés à de
belles odalisques somnolentes.
La
joie, l'espérance m'étreignirent, m'exaltèrent, j'étais arrivée,
mon interminable quête s'achevait. Je frappais d'abord
doucement, puis tambourinais à m'en écorcher les mains contre les
vantaux, appelant puis hurlant, me révoltant contre le silence qu'on
m'opposait. Je ne lâchais pas prise et des jours, des nuits durant,
je restais là, guettant un signe de vie, une aumône qu'on me
ferait. Ma patience finit par payer. Un matin, à mon réveil, je
trouvais un bol d'eau et une coupelle de fruits devant la porte. Avec
un maigre sourire, je bus cette eau au goût saumâtre, sel et miel,
et croquais une pomme... Rouge et sucrée, appétissante et odorante,
fruit du plaisir... Saveurs douces et amères mêlées. Il fallait
bien me résoudre... Ces portes resteraient closes, ce bonheur ne me
serait donné qu'à entrevoir...
Parce
que cette cité, c'est toi, et qu'elle m'est interdite.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire