mercredi 21 janvier 2015

Mirage

Longtemps j'ai marché.

Parfois je trouvais refuge en de luxuriantes forêts qui me laissaient à penser que j'avais atteint mon Eden. Ecrin bigarré et chatoyant, chantant et envoûtant. Pourtant, toujours il me fallait poursuivre, perdant bien vite tout intérêt pour ces saveurs exotiques, ce foisonnement, cette débauche qui finissait par laisser dans ma gorge un léger goût d'écœurement.

Venaient des étendues désertiques, marche longue et harassante, à pas traînants, à perte de vue cette immensité désolée qui asséchait ma bouche, à l'image du paysage. Seule une ombre, mon ombre, m'accompagnait, simulacre de présence rendant la solitude plus pesante encore.

A de rares occasions, c'est une vallée à l'herbe tendre qui m'accueillait, me retenait un temps dans son creux douillet, et mon âme chantonnait, telle la rivière au flot serein qui coulait en son sein et dans laquelle je prenais maints plaisirs sensuels à me baigner, me prélasser, me perdre et me fondre. Le temps se suspendait. Et pourtant, l'appel retentissait à nouveau, je reprenais mes errances, aspirant à trouver l'ultime foyer.

J'y parvins un jour, ou plutôt je le cru. Un petit port, lové dans sa crique, chamarré et bruyant, grouillant de vie et de parfums. Je m'y sentis instantanément à l'aise, arpentant les vastes avenues comme les sombres ruelles, rêvant souvent sur ses quais, bercée du récit des marins, m'imaginant partager ces rocambolesques aventures.
Et puis, le port se fit désert, la vie trépidante et joyeuse fit place au silence et à l'absence. Plus de goélettes à la grand-voile tendue pour s'imaginer accoster de lointains rivages où réinventer sa vie. La tête vide, je repris mon périple, traînant les pieds, lourds du poids de mes regrets, de mes rêves inassouvis.

De nouveau j'étais à l'orée d'un désert, mes pieds s'écorchaient sur la rocaille, saignant à l'instar de mon cœur, mon cerveau bouillonnait sous l'ardente chaleur du jour alors que je grelottais la nuit, recroquevillée, tétanisée, me demandant si le matin venu, j'aurai la force de repartir, sans savoir pour où, vers quoi. Je ne comptais plus les semaines, les mois, machinalement, mécaniquement, je m'obstinais, un crépuscule, une aube après l'autre.

Imperceptiblement, le paysage se fît différent, je ne m'en rendis compte qu'à d'infimes détails d'abord. Mon pas se fît peu à peu plus vaillant, s'allongea bientôt jusqu'à devenir une ample foulée, motivée par la vision, là bas tout au loin, si loin encore, d'une imposante enceinte, émergeant de la brume de chaleur, telle une oasis de pierre.
Alors que j'étais prête à courir pour l'atteindre au plus vite, curieusement je ralentis, comme si tout à coup une peur sourde, irraisonnée me faisait craindre de m'en approcher. Le doute, l'incertitude, m'enserraient, me laissant haletante et pantelante alors que j'en distinguais plus clairement les contours.
La muraille, haute et écrasante, intimidante, me maintint un moment à distance, le souffle court et palpitant, avant que je ne me résolve à en faire le tour, espérant découvrir un accès pour y pénétrer.
Je mis plusieurs jours à cette entreprise, ébahie par la circonférence de cette cité dont les proportions et la défense laissait à présager des merveilles, pour être ainsi protégée. La crainte fit place à l'impatience, le doute à l'envie, et quand enfin je parvins devant les battants de l'immense portail, unique ouverture de cette forteresse, je tombais à genoux, écoutant avec ravissement, les sons étouffés qui m'en parvenaient. Doux babil des oiseaux, gargouillis cristallin des fontaines, rire cascadant et rimes résonnantes de poèmes fleuris que j'imaginais déclamés à de belles odalisques somnolentes.

La joie, l'espérance m'étreignirent, m'exaltèrent, j'étais arrivée, mon interminable quête s'achevait. Je frappais d'abord doucement, puis tambourinais à m'en écorcher les mains contre les vantaux, appelant puis hurlant, me révoltant contre le silence qu'on m'opposait. Je ne lâchais pas prise et des jours, des nuits durant, je restais là, guettant un signe de vie, une aumône qu'on me ferait. Ma patience finit par payer. Un matin, à mon réveil, je trouvais un bol d'eau et une coupelle de fruits devant la porte. Avec un maigre sourire, je bus cette eau au goût saumâtre, sel et miel, et croquais une pomme... Rouge et sucrée, appétissante et odorante, fruit du plaisir... Saveurs douces et amères mêlées. Il fallait bien me résoudre... Ces portes resteraient closes, ce bonheur ne me serait donné qu'à entrevoir...

Parce que cette cité, c'est toi, et qu'elle m'est interdite.




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