vendredi 17 février 2017

Tentative... avortée

Une boule à la gorge, aux tripes, un vide dans la tête, un manque, un malaise, un mal-être. Une douleur, une lourdeur, un fardeau.

Lentement elle chemine, traînant les pieds, pas après pas, sans but, et le soleil se couche sans qu'elle sache s'il se relèvera pour elle. Sa flamboyante et sanglante agonie marque le déclin qu'elle sent refluer en elle, vague brûlante du feu de la vie qui l'abandonne.

D'un désespéré mouvement de tête, elle fait refléter les derniers rayons mourants dans sa chevelure mordorée, comme pour en capter une ultime once de force, y puiser un soupçon d'énergie, de survie, éclat ardent d'une puissance déjà enfuie. Après une brève étincelle, c'est la nuit qui l'engloutit, glacée et sourde, engourdissante et paralysante.

Elle trouve refuge contre un amas de rochers, s'infiltre dans une faille, se protège comme elle le peut du vent, priant pour qu'aucun prédateur ne vienne rôder ici. Elle s'enroule dans ce qui reste de sa cape, maigre lambeau de lin qui ne la préservera pas des rigueurs de ce désert hostile. La faim malmène son ventre, la soif sa gorge, la peur son cœur. La fatigue finit par emporter la lutte et ses tourments s'apaisent, la plongeant dans un sommeil fiévreux et agité. Dans l'inconscient de l'oubli les souvenirs pourtant l'assaillent.


Le jour se levait, ramenant avec sa lumière les bruissements comme encore atténués par l'aube, les chuchotis, les rires contenus, les pas légers sur le sol dallé, le froissement des voilages quand on passe de pièce en pièce, le crépitement des feux qu'on attise et qui soudain s'embrasent, l'eau qui chuinte dans les bassins placés au dessus d'eux, les tintements de vaisselle que l'on tente d'amortir pour préserver le sommeil de ceux qui dorment encore.
Elle allait, parmi cette effervescence étouffée, insouciante et gaie, presque heureuse. Fière de sa jeunesse et de sa beauté, fraîche et pimpante, arrogante sans le vouloir, s'affairant avec grâce et légèreté, ses soies suivant chacun de ses mouvements, fluidités mêlées, peau iridescente et tissu nacré. Le ballet des servantes menait grand train, chacune à sa tâche, cadencé et ordonné, efficace, dans lequel elle trouvait sa place, ensemble parfait.
Tout à coup, le maître s'éveille et l'ensemble s'éparpille et se dissipe, avant de retrouver les gestes dosés et mesurés, savamment appris, dans lesquels elle se reconnait et s'accomplit.

Dernière arrivée, elle n'aura qu'une tâche subalterne, au mieux lui présenter le bassin pour se rincer les mains. Mais elle compte tirer parti de cet infime instant pour d'un regard brûlant lui soutirer un maigre coup d'œil, un clignement de paupière qui marquera sa rétine de sa silhouette gracieuse et docile, serviablement agenouillée à ses pieds.
C'est qu'elle espère bien ne pas rester cette esclave sans nom et sans rang. Avec plus de marques de respect qu'il n'en faut, elle se glisse à ses pieds, cambre délicatement le dos, poitrine bombée, soulevée d'un souffle léger, et lui présente le bassin finement ciselé, qu'elle a garni de pétales délicatement parfumés.
D'un coup d'œil ajusté sous ses cils humblement baissés, elle croise le regard noir et affûté, bât des paupières, rougit, vacille un peu, faisant courir une onde sur la surface jusqu'alors plane de son récipient, tenu à bout de bras, mêlant un instant leurs deux reflets.
Envahie d'un trouble qu'elle n'aurait pu présumer, c'est avec un réel respect qu'elle poursuit, se tendant vers lui, buste penché, tête inclinée, poitrine malmenée par un battement précipité.
Il y plonge les mains, insouciant, inconscient, les sèche au tissu qu'elle lui tend d'une main tremblante, rêvant de frôler ses doigts.
Il faut maintenant se retirer, et c'est le cœur dans les talons qu'elle regagne les communs, piétinant le tapis de soie, champ d'orties foulé au pied.
Bien des jours elle a rempli son office, espérant qu'il remarque la manière délicate et subtile qu'elle a de remplir sa tâche, prenant soin de sa tenue, de sa coiffure, s'obstinant à être des plus inventive et originale dans les couleurs et parfums qu'elle lui présente dans cette vulgaire vasque, qui pour elle est puits et source de l'amour qui peu à peu grandit et croit, fantasme incontrôlé et démesuré d'une jeune fille enlevée, privée de repères. Avide de reconnaissance, d'attentions et d’apartés passionnés.

Bien des jours, il a suivi le rituel sans sembler y prendre plaisir particulier.
Et ce matin, oui, ce matin, il la regarde. Voit une chevelure mordorée que le soleil qui filtre par les rideaux à demi tirés embrase, une silhouette qui se découpe à contre champ, généreuse et bien galbée, des yeux immenses et brûlants, qui dévorent un visage faisant oublier ce que le reste du corps peut avoir d'appétissant.
Et pourtant il l'est... appétissant, et c'est généralement ce qui prime pour lui. Mais... ces yeux, cette flamme, ce volcan qui sommeille... Il s'imagine le réveiller et l'explorer.
Plongeant les mains dans le bassin, il prend plaisir à les frotter l'une contre l'autre, prolongeant outre mesure ce temps pour la détailler, jouant de ses doigts qui s'emmêlent et se pressent sous couvert de les laver, caresses déguisées qu'il espère la voir interpréter.
Un bref coup d'œil à ses pommettes rougissantes, à l'éclat de ses yeux suffit à le conforter dans son entreprise et avec assurance, il les lui tend pour qu'elle les sèche.
D'une main tremblante, elle les enveloppe de la légère étoffe de coton qui ne laisse rien ignorer de la chaleur de sa peau, frémit en espérant n'en rien laisser paraître. Elle en éponge chaque parcelle avec une  révérence qui cache le plaisir qu'elle a à partager ce moment. Elle se gave de cet instant privilégié où enfin elle est en contact avec lui, sans tenir compte de cet infime barrière, maigre rempart entre leurs deux épidermes.
Et contre tout attente, elle ose. Lève les yeux, vient trouver l'ambre sombre de ses prunelles, s'y cristallise, happée par la lumière, emprisonnée par l'ombre. Un tourbillon l'emporte, et dans ces circonvolutions, c'est son avenir qu'elle devine.
Un frisson parcourt son échine, une suée mouille son front, et ses mains qui l'étreignent encore se serrent autour de ses doigts qu'elles agrippent, pressent et contraignent.
Elle le sait, ce soir il la fera appeler. Enfin...
Avec toute la révérence dont elle peut faire mine, elle quitte la pièce, le cœur gonflé d'allégresse.

Le reste de la journée s'étire en une lente agonie, entre foi et doute, envie et crainte, désirs et plaisirs projetés, exacerbés. Et quand la nuit tombe enfin, que tout et tous se laissent engourdir, c'est le cœur palpitant qu'elle guette chaque bruit, chaque mouvement. Pelotonnée sur sa maigre couche, elle veille, à l'affût, sursautant au moindre craquement, attentive au moindre bruissement. Il ne peut pas, il ne doit pas la laisser.
Pourtant, on ne viendra pas. Et c'est l’œil noir et hagard, cerné, que ce matin elle lui prodigue ses services. Avec dans la démarche et les gestes une raideur, dans le choix des senteurs du bassin une note acide, prédominante. Il ne remarque rien, la regarde sans la voir, comportement mécanique, la renvoie d'un geste désinvolte qui finit de la réduire à néant.
Abasourdie par un tel retournement, ne pouvant concevoir dans la prétention de sa jeunesse être  si allègrement rejetée, c'est avec une folle ambition qu'elle cherche l'explication de cette rebuffade.  Qui, pourquoi et comment,  a pu la priver de ce moment, de sa chance ? De cette opportunité à faire basculer son destin.

A force de guetter, entre tentures et moucharabiehs, de tendre l'oreille et de fureter, d'interroger servantes et palefreniers, tout ou partie du petit personnel, elle finit par apprendre qu'un émissaire arrivé tard dans la soirée et porteur de nouvelles alarmantes, avait réquisitionné tout l'aréopage du palais et son prince avec lui.
Bien, ce n'était donc pas de son fait s'il l'avait ignorée. Un bref rire de gorge la secoue à cette idée.
Il n'y a bien que l'arrogance de la jeunesse pour penser ainsi et c'est toute nimbée d'elle qu'elle cherche l'excuse pour aller le retrouver.
Les choses sont finalement simples. Il suffit de résumer. Un émissaire, une assemblée de dignitaires. De fait, un conseil qui tient lieu dans le seul endroit qui puisse tous les réunir. L'heure est assez avancée pour croire qu'après quelques heures de repos, ils y soient de nouveau, et si la situation est aussi grave que le laisse présumer l'effervescence qui règne alentour, ils y seront.

Armée d'un plateau garni d'une théière fumante, de sa panoplie de verres et de pâtisseries dégoulinantes de miel, c'est d'un pas sûr et alerte, rebondissant sur l'essor de son arrogance et de sa confiance en elle, qu'elle longe les couloirs, jusqu'à parvenir à l'entrée de la salle. Bien évidemment, des gardes en barrent l'accès, mais qui se méfierait d'une humble servante ?
Avec force sourires et courbettes, elle en franchit le seuil et s'avance, échine courbée, tête baissée, quand ses yeux s'évertuent à scruter et mémoriser tout ce qu'elle en perçoit.

Après avoir servi le maître, sans chercher à s'en faire reconnaitre, et bien au contraire ployant plus qu'il ne le faut le dos, masquant sa face, elle  poursuit son service.
Elle note avec précision la position de chacun par rapport à lui, marque du rang dans la hiérarchie, en étudie brièvement la face, pour peu qu'un faciès présume d'une nature, emmagasine le plus d'informations possibles dans le cours laps de temps qui lui est imparti de se poser auprès de chacun d'eux. 
Elle en hume aussi les parfums, les fragrances corporelles qui au delà de tout définissent une personne. De ceux qui cherchent à masquer l'odeur aigrelette de leurs chairs surettes, à ceux dont le musc puissant rivalise avec les encens dispensés par les braséros flamboyants qui éclairent la pièce.
Voilà une belle assemblée de fats et de couards, de soudards pétris d'hormones, et parmi eux une faible poignée de fidèles, dont la douceur saumâtre ne saurait suffire à défendre son Prince.
Bien qu'il lui faille regagner les communs une fois son office accompli, et qu'elle n'ait eu loisir de saisir goutte à leurs échanges, elle sait qu'elle doit lui parler.

 Revenue à sa condition, perdue dans les méandres des cuisines dévolus aux serviteurs, elle ne peut s'ôter de l’esprit qu'il a besoin d'elle, qu'elle est à même de lui apporter l'aide et le soutien dont il a besoin en ces temps troublés.
D'où que lui vienne cette pensée, sensée ou non, elle lui reste chevillée au corps et la perfore. Elle se doit d'agir, de réagir.






mardi 7 février 2017

Essai. Version semi-définitive que je republie pour une meilleure lisibilité

Pour mettre fin aux questions récurrentes, c'est une FICTION !

CHAPITRE I



Je tente de soulever une paupière. C'est dur, elle pèse une tonne, encore plombée de la murge de la veille. J'ai le cerveau en fusion, la bile dans la gorge, l'estomac retourné.
J'enfonce ma main dans l'oreiller, ce con fuit sous ma pression, ma tronche s'enfonce. Une difficile hissée sur l'avant bras, un œil qui émerge malgré lui. Retourné boulé, c'est fait.
Merde.
Il est encore là.
Je ferme les yeux. Enfin, je fais semblant, le temps de voir s'il est réveillé. Hop, ouverture, fermeture, je cligne mais je ne vois rien, je suis dans les vapes, je ne capte pas.
Soupir. Il est tout aussi déglingué "le gars".
Le gars... Serait temps que je remette un peu les choses dans l'ordre.
Allez, concentration extrême, si l'on fait fi des vrilles qui me transpercent le cerveau, du trou dans le ventre, de la soif qui me dessèche la gorge.



Alors... Hier...
Ça devient dur. J'ai la tête dans le c.. et pas en condition. On va attendre encore un peu.
Cela dit, pour ce que je m'en souvienne, un bon coup, je crois que j'ai joui.
Je le crois, pas sûre, mais ça devait être pas mal.
Je me concentre un instant sur mon corps, sensation de plénitude ou pas ?
Oui..., Je ne suis plus aussi affamée. Mais ai-je encore envie. De lui ?
Je l’observe sous le voile de mes paupières à demi baissées.
Beau mec, visage plein et rond, beaux traits. Carrure sympathique si l'on en juge par les plis du drap et mes vagues souvenirs.
Ah oui, ça me revient... Il faudrait que j'arrête de boire...
Un bon moment. Un peu rapide, mais il sait y faire. A cette pensée, contraction d'une partie bien spécifique de mon anatomie, face arrière... Ah oui, quand même... Hmm oui, pas si mal... Culotté, si vous me permettez l'expression. Belle déculottée même...
Pour un plan rencontré en boîte, on aurait pu s'attendre à pire.
Réminiscence des sens. Goût sucré de la salive, quand nos langues s'emmêlaient et se croisaient, qu'il m'en pénétrait par avance, l'enfonçant loin dans ma bouche. Prémices de ce qu'il en ferait ensuite, beaucoup plus bas et sous toutes les faces.... Et le salé de la sueur, les claquements de nos corps surchauffés l'un contre l'autre, qui n'en finissaient plus de s'éloigner et de se rejoindre... Gémissements et soupirs, et cris...
Il aura effectivement bien rempli son rôle... Son rôle... Non, ne pas épiloguer là-dessus maintenant. Parce que...



Parce que pas envie de partager le ptit déj' et les mamours du réveil. Je m'hélitreuille du lit à force de volonté, et surtout de la trouille d'un face à face prématuré et fonce sous la douche. Une bonne nuée bien vigoureuse sur la face et je reprends mes esprits. Coiffage décoiffage express et expert, « pinçage » de joues pour la bonne mine façon naturelle. Bon, il faut le jeter, le bellâtre, maintenant.
Déjà avaler un truc pour caler cet estomac qui joue la javanaise. Direction frigo, lait à la bouteille, banane, (non, ne penser à aucune allusion), et tiens, pourquoi pas ce bout de fromage qui traîne. Il faut se remplir pour atterrir. Et puis comme bouclier anti-bisouilles, l'haleine parfumée au Saint Nectaire, ça le fait pas mal. Tant pis pour le glamour, faut pas qui s'gourre.
J'évite les miroirs, je rase les murs jusqu'à ma chambre. J'inspire, je fige un sourire. Je hais ce moment. Mais je hais plus encore le voir dans mon lit.
Je me pose près de lui, le secoue d'une main douce, quand elle se voudrait sans ménagement, sourire hypocrite toujours collé aux lèvres.
Voix suave :
- "Il est tard, tu dois te lever. Mes enfants vont rentrer..."
Rien à dire de plus, ça devrait le faire fuir.
Sans faute il se redresse.
- "Tes enfants ?
Et je vois sa face se contracter d'angoisse...
- "Oui, je n'ai pas eu le temps de t'en parler hier soir, mais..."
Il ne me laisse pas finir ma phrase, saute du lit, dans ses fringues, dans sa caisse.
En résumé, mais ce qui s'est passé entre deux n'a aucun intérêt. Pitoyable saynète du monde moderne.

Profond soupir. Mélange de relâchement, de soulagement, et cette once de déception, légère amertume au fond de la gorge. Ne pas la laisser s'installer, enfler.
Vivement dimanche qu'ils disent ! Je traîne le reste de la journée, en évitant la télé.
Oui, j'ai menti, les monstres ne seront pas là avant demain.
Deuxième soupir. Relâchement et soulagement, et cette once de nostalgie, légère crispation au fond du cœur. Ne pas la laisser s'immiscer, gagner.
Le reste de la journée s'étire, comme un chewing-gum  fondu par la canicule collé sous ma semelle de plomb.

Ça y est, lundi matin, semaine de merde à venir. J'ai abusé ce week-end, j'ai encore perdu mon temps. Aucune envie de reprendre le collier.
Le "collier"... Me reviennent des images, des sensations, des abandons. Doux souvenirs... mais douloureux aussi.
Mes pensées vagabondent et me reportent à ce jour. Je ne me souviens plus de l'avant ni de l'après. Juste du moment. Cet instant où je me suis abandonnée.
J'allais si mal. Il était là. Ou j'étais là.
Mais nous étions tous les deux là pour explorer ça. Et putain !

Allez ! Sors-toi de ce lit et de cette torpeur nauséabonde.
Lundi donc, c'est taff.
J'ai mis la petite tenue qui va bien, sexy juste ce qu'il faut et working girl à souhait. La jupe qui fait joli le galbe des cuisses sans montrer la touffe. Avec des bas opaques pour ne pas faire pouffe.
Je fais le détour obligé par "l'espace détente". Un remake de camera café.
J'en vomis, la semaine sera longue... On a là tous les stéréotypes. Je minaude, je dose les sourires en fonction des fonctions.

Je finis par m'installer à mon "poste de travail", c'est-à-dire que je m'affale derrière mon bureau, je checke les mails, je remue quelques dossiers, je survole la liste des "to do", je baille, je me gratte la tête, je re-baille.
Heureusement, mon boss n'est pas là, je peux continuer à « comater » tranquillement ce matin. Et pour une fois éviter ses sourires salaces et son haleine fétide. Vieux chacal.
Bon... Je suis sensée justifier mon salaire, je vais prendre un dossier sous le bras et aller faire un tour. Avec un peu de chance, je vais glaner quelques ragots croustillants, de quoi égayer cette journée que je sens morose.
Je commence par le bureau voisin. On est à l'étage des "dirigeants". Je suis l'assistante du Dir' commercial, ma voisine est celle du Dir' financier.
Je toque et j'entre sans attendre. Vue plongeante sur la Défense, par des baies vitrées qui me donnent le vertige. Ah oui, la vue est chouette ! On domine, on surplombe, cette masse, cette nuée de petites fourmis qui s'activent ! Légère nausée. Je ne sais pas si c'est du à la hauteur ou toujours ce contrepoint chez moi, à rejeter les notions de classification, de gradation. Mais on s'en fout. On a mieux à faire. Se raconter le week-end.
Elle lève la tête à mon entrée, sourit à ma tronche défaite, à moitié masquée par la couche de fond de teint que j'ai posé à la truelle, agrémentée d'une tartine d'anti-cerne et de blush "kidonnebonnemine".

- "Week-end maman solo ?

- "Haha, comment t'as deviné?", je lui lance une œillade qui en dit long, elle rigole.

- "T'as la tronche de celle qui a... pas dormi. Raconte !"

C'est dingue comme les gens qui ont une vie heureuse, épanouie, comblée, rangée et parfaite, aiment que vous leur racontiez vos "turpitudes"...
Je vois son œil qui frise et je l'imagine avec monsieur et les enfants, famille modèle, vantée par tous et surtout la pub, et l'ennui mortel qu'elle a subi ces deux derniers jours. Son désir à peine voilé de vivre par moi ce qu'elle fantasme quand elle se fait sauter par son chéri.
Ce serait presque drôle, si ce n'était pitoyable.
C'est dans ces moments que j'entrevoie la chance que ce con m'a donnée en me trompant... Que je me dis que de cette merde, je dois tirer quelque chose. Que ça ne peut pas être pour rien.

- "Je suis morte ! J'ai à peine fermé l’œil ! Plus de mon âge ces p'tits jeunes !"
Laisser venir les questions.

- " Jeune ? A quel point ? Pas la vingtaine quand même ?"

Sa lèvre pend, brillante, bouche ouverte sur un fantasme qui se révèle,  je me tâte à le lui offrir ou à dire la vérité. Je l'observe, un peu défraîchie sous ses dehors amènes, beaux restes mis en valeur par les artifices. J'ai le choix de la faire mouiller ou de la ramener à plus de retenue. Je penche la tête, fais durer le suspens.
Mais en réfléchissant, me vient l'envie de tester ça aussi. Un jeune, un vrai jeune... Pourquoi pas... Je vais garder ça pour une autre fois, alors.

- "Trentenaire, c'est vieux ?"
Je vois sa mine un peu déconfite, va falloir que j'envoie du lourd pour réveiller ses instincts, à maman.

- "Un corps de rêve, une gueule d'ange, une langue qui n'a besoin d'aucun cours... des mains curieuses et habiles, et une endurance de marathonien !"
Sa bouche s'arrondit, je l'imagine imaginer.

-" Il n'a pas arrêté de me tourner et retourner, à peine fini, on recommençait !"
Elle rit, d'un rire jaloux.

-"Je n'ai pas fait autant de sport depuis que j'ai arrêté le club !"
Ça suffira.
Mais elle ne l'entend pas de cette oreille.

- "Han, combien de fois, allez, dis !"
Ses yeux et sa bouche rivalisent d'envie.

- "Alors, entre les préliminaires, qui à eux seuls auraient pu suffire..."
 Je fais mine de réfléchir, de compter sur mes doigts.

- "Missionnaire forcément pour commencer, avec ses variantes, et des trucs dont je ne connais pas le nom, mais carrément acrobatiques... au moins cinq ! Sans parler du final... !"

Petit arrêt, sourire en coin, sourcil qui se soulève. Je ménage mes effets.
- "Le final, hmmm,  feu d'artifice ?

- "Feu d'artifesses...".
J'éclate de rire, tandis qu'elle rougit un peu. T'as voulu savoir, tu sais.

- "Et toi ?"

Oui, question dégueulasse, dont je n'écoute même pas la réponse, d'autant plus qu'on frappe à la porte.
Je me retourne, avant même qu'elle dise d'entrer. Et là, merveilleuse surprise. Juste ce qu'il me fallait pour chasser les dernières sombres nuées. Dans l’entrebâillement de la porte, une petite gueule d'amour se dessine.
Moi qui venais d'espérer goûter à de la chair fraîche, me voilà servie.
Je sens un frisson remonter du bas de mes reins, pourtant encore un peu cassés de la veille. Sous mes yeux esbaudis se profile la plus charmante personne qui soit.
Bon, il va falloir aller puiser loin, il a bien pompé dans mes réserves le sodomite. Cette dernière pensée me fait un peu tiquer moi-même....Va falloir que tu surveilles ton langage, tu deviens vulgaire, ma chérie.

N'empêche, j'affiche un sourire avenant, les yeux un peu baissés, qui en profitent pour détailler la silhouette. Bien foutu le gaillard. Un corps mince de jeune poulain, délié, cuisses nerveuses, bassin étroit, torse longiligne mais dessiné, tête hautement portée par une estime de soi toute neuve. Celui-là doit en vouloir et en donner.
Je le constate sans mal quand mon regard croise le sien. Direct, franc, provocant. C'est qu'il voudrait  me la raconter.
J'adore. Je papillonne un peu, je te regarde, mais je ne te regarde pas. Puis j'insiste un peu et un peu plus. Et je rebaisse (les yeux).
Je me lève du fauteuil dans lequel je m'étais avachie, non sans laisser remonter ma jupe déjà courte sur mes cuisses, afin de lui laisser entrevoir ma chair, entre le "dim-up" et la culotte.
Je capte son regard fugace. Le bougre sait se contrôler. Il n'en laisse rien paraître.
Mais n'empêche, j'ai vu. J'en profite. Hop, petit mouvement arrondi de la hanche. J'en ai encore juste assez sous la pédale aujourd'hui pour lui prouver qu'on n'est pas fichue à quarante ans.
Oui, je sais, c'est mal, mais si bon. Défi personnel autant que jeu, séduction gratuite, mais si gratifiante.
Et en ce moment, c'est bien tout ce qu'il me faut.
Maman sent que la situation lui échappe, elle se jette dans la mêlée.

- "Ha mais, Lahna, tu ne dois pas connaître Maxime !"
Je la sens toute frétillante et heureuse d'avoir elle aussi son petit truc à raconter. Enfin un ascendant sur moi.

- "C'est le nouveau stagiaire, il est là pour huit semaines, il va faire le tour du service pour découvrir nos méthodes, nos petits secrets... Et on l'a confié à mes petits soins !"
Gloussement qui doit se vouloir ingénu, voire espiègle.

N'empêche que ça fait beaucoup de "petits", voit plus grand, ma belle.

Elle se lève de son fauteuil, ajuste sa jupe, tire sur sa veste pour en accentuer le décolleté et défaire les plis qui marquent la taille un peu épaissie, se rengorge, large sourire, toutes dents en avant. Perchée sur ses escarpins aux talons qui affinent et allongent la jambe (dixit la vendeuse), elle s'avance d'une démarche qu'on imagine chaloupée et gracieuse vers le sus-nommé Maxime.
Je coule de nouveau un regard vers lui. Il sourit à maman, bien qu'il se crispe un peu quand elle vient glisser son bras sous le sien et se colle contre lui. Un coup d’œil fugace nous réunit.

- "Je vais lui faire la visite des bureaux, qu'il prenne ses marques. Je suis ta marraine ici, Maxime, si tu as la moindre question, le moindre doute ou quoique ce soit... N'hésite pas, je suis là pour toi..."

Un roucoulement dans la voix, une œillade de biche affolée par le long brame du mâle.
Maman est à fond et se sent forte à croire me damer le pion.

Je souris de plus belle, d'autant plus quand je vois la mine déconfite de ce pauvre garçon. J'en aurais presque de la peine. Va, petit homme, courage.
Je les regarde franchir la porte. Elle, toute pimpante et rebondissante, montée sur les ressorts de l’excitation, lui traînant les pieds, conscient du supplice qui l'attend.
Dernier clin d’œil de maman par dessus l'épaule.
Oui, oui, j'ai vu ! Tu assures, tu as mené ça de main de maîtresse ! Je rigole de plus belle. Mais je me contente de lui rendre son coup d’œil entendu.


Bon... Me voilà de nouveau face à mon ennui profond, à ce vide qui me colle au bide depuis...
Hop, mouvement de tête pour rejeter la mèche et les idées noires.
Je croise mon reflet dans la vitre, détourne le regard.
Je sors vite fait de ce bureau, regagne le mien sans conviction. Plus trop envie de parler en fait. Autant travailler un peu. Ça me prend jusqu'au déjeuner.
J'hésite. Resto d'entreprise et sa dose de lourdingues, dragueurs, « humoristiquement » déprimants, de bellâtres cravatés, de jeunes premières « brushinguées », bimbos déguisées en intellos, ou l'inverse, aussi.
Et ça c'est pour le plus plaisant.
Non décidément, pas aujourd'hui.
Je vais aller m'aérer la tête. Pas forcément évident au milieu de cette multitude d'existences qui s'entremêlent et se bousculent.
Me voilà sur la parvis et je regrette. Chaque visage, chaque silhouette, jusqu'à ces infimes mouvements sur le coin de ma rétine m'agressent. Trop de vies, d'histoires, de possibles et d'impossibles qui me sautent à la figure. Je les regarde, les vois, et ça me renvoie à moi. Merde. Je vais plus mal que je ne le pensais.
Je bats en retraite.

Sale journée jusqu'au bout, je n'ai recroisé ni maman ni son mignon.
J'ai récupéré les enfants à la volée, écouté, épaulé, maternisé, rassuré.
Je les aime. Je les aime, je donnerais ma vie pour eux. Mais.
Mais putain, j'ai mal au bide !
J'enfile vite fait un truc difforme et infâme, chaud et douillet. Enveloppant, comme les bras de l'homme que je n'ai pas. Je me fourre sous la couette, avec mon portable.
Écume donc les sites auxquels tu t'es inscrite. Forcément... j'ai cédé aux sirènes.
Ah oui, j'ai des messages, pour ça oui, j'en ai ! J'en vire les trois-quarts au seul intitulé...  Ça promet.
Entre les lourdingues qui se la jouent romantiques à coup de citations d'almanach, les dépressifs qui ont besoin de ta main pour les sortir de leur marasme (et te couler avec eux), les alcooliques délirants, les névrosés, les paumés, les veufs, les fraîchement divorcés, les fous du cul...
Je m'arrête sur l'un d'eux. Il est en ligne. Raison qui fait que, parce que...
Chat lancé...
C'est parti !

Lui: Tu es sm par hasard ?
Il attaque d'entrée et sans gants... Ok, on monte sur le ring.
Moi : Lol, explique moi ça
Lui :  Dominatrice ou soumise, désolé mais je demande on ne sait jamais
Moi : Oui mais toi, tu-es quoi ?
Lui :  Swicth
Moi :  Lol, et qu'est-ce qui te fait me demander ça ?
Lui : Ton profil, pas spécialement mais un peu dominatrice, désolé de te demander ça, j'arrête de t'embêter
Moi : Non, je suis juste surprise
Lui : Ah ok, je sais qu'on peut le prendre mal
Moi : Non, juste que je ne capte pas du tout
Lui : : Et si on parle de ça on se fait traiter d'obsédé
Moi : Si j'étais Dom ça se verrait et sub aussi, donc vraiment, je ne capte pas.
(Dom, pour Dominant, et submissive pour soumise, hein, mais vous le saviez. Non ? ) 
Lui : J'ai l'air dom ou sub ?
Moi : Ben t'as l'air de ni l'un ni l'autre :)
(J'ai vite fait d'aller voir son profil, pensez bien !)
Lui : Pourtant je suis les deux, mais en vrai surtout
Moi : Et ton discours ne livre rien non plus
(En vrai, parce qu'il y a du faux ?)
Lui : J'évite de parler de sexe à ceux qui ne sont pas intéressés
Moi : Tu es.. banal :)
Lui : Oui
Moi : Passe-partout en fait
(Suis une garce, c'est connu, mais il tend la perche, aussi)
Lui : Bah oui on peut être banal avec une sexualité spéciale
Moi: Je ne parle pas de sexualité
Moi: Mais comme tu es, ça n'évoque rien et juste poser la question à une fille comme ça, bof. Soit tu agis dans un sens ou dans l'autre, mais tu le fais savoir, parce que là, ça donne pas envie :)
(Oui, j'ai des dons innés pour la diplomatie)
Lui : J'aime me faire prendre par une femme, c'est plus clair ?
Moi : Alors ne dis pas que tu switches
(Mais dans quoi je suis tombée ?!)
Lui : J'aime les deux je t'ai dit, j'aime dominer et me faire prendre aussi
Moi : Mais quand tu branches, ne laisse pas le choix, sinon t'es pas crédible
Lui : D'habitude si
Moi : Ben avec des filles qui n'y connaissent rien sans doute
(Genre suis la pro du SM , mais lui n'a du lire que 50's shades of Grey)
Lui : Première fois que j'entends tous ces reproches
Lui : Est-ce que ça t'intéresse ?
Moi : Non, tu n'as pas tout compris, je crois
(Pas diplomate, mais donneuse de leçon pour ceux qui n'en veulent pas, oui, je sais faire)
Lui :  Rien du tout, même tu parles pour ne rien dire, avec des phrases floues, vides de sens, je te laisse continuer des dialogues de sourds avec d'autres hommes de seconde zone qui aiment les conversations qui mènent nulle part, amuse-toi bien
Moi : Si j'ai un mec sous ma botte, il l'est vraiment
(Na mais ho ! Va pas me la refaire en plus ce crétin)
Moi : Tu es ce que tu me reproches !
Moi: La preuve quand tu as une vraie maîtresse face à toi, tu ne sais pas la reconnaître !
Moi : Je rigole
(Faut paraître sûre de soi)
Lui : Décidément t'es vraiment intelligente, perspicace en plus !!!! Tu m'as cerné si rapidement, trop fort. T'es beaucoup trop belle et intelligente pour moi je suis complexé
Moi : Ben si tu considères le SM comme un folklore, et des positions
Lui :  Lol
Moi : Bon amusement :)
Lui : Merci à plus

Voilà, torché en deux minutes...
Merde, je ne  suis pas SM et en plus pédante et castratrice ! Pauvre de lui, qui se voulait maître en la matière.
Je m'en flagellerais presque (sic). Oui, je sais, je n'ai rien fait pour. Pour quoi ? Dans le genre, il en tenait une belle couche.

Pourtant...
Si je ferme les yeux, je me vois encore. Instant où j'ai dit merde à mes barrières, mes faux-semblants, mes freins. Où j'ai juste pensé à vivre et ressentir, trivialement, instinctivement, bestialement.
Mais non. Non !

Je continue de survoler les profils, de refuser les dialogues. L'envie n'y est plus. Ils me fatiguent. Je vois dans leur misère le reflet de la mienne.
J'abaisse l'écran de mon ordi et celui de mes paupières. Black out. Ou presque.
Parce que c'est maintenant que ça prend vie en fait.
Bordel !
Je me tourne et me retourne dans ce putain de lit qui T'a connu. Le cerveau farci de Toi, de tout ce que je cherche si fort à refouler. Ça me bouffe, ça me ronge, ça me tue et me maintient en vie. S'il ne s'agissait que de mon cerveau. Mais c'est la totalité de mon épiderme qui part en vrille et se met à trembler, réclamer, suffoquer.

J'ai une envie folle, dévorante.
Je saisis prestement l'oreiller abandonné à mon côté, je le colle contre mon corps, mes jambes l'enserrent de part et d'autre, le contact du tissu frais exacerbe mes sens, hérisse quelques poils, tend une pointe de sein avide des caresses dont je me sens privée.
La tentation est grande, de laisser croître le désir que je sens papillonner, voleter là, tout au creux de mon ventre, de donner corps à cette pulsation qui bat en ce point précis, niché dans le delta de mes cuisses. Boule de chair gorgée de sang, qui pulse au rythme des battements désordonnés de mon cœur.
Sans y réfléchir, ma main s'engage, légère et aérienne, lentes circonvolutions n'atteignant jamais tout à fait leur but, évitant d'agacer trop vite et trop fort. En un lent pèlerinage, je retrace du bout des doigts le parcours qu'il aimait à emprunter, paupières fermement closes, bouche entr'ouverte, lèvres humides et gonflées. Mon dos s'arque, mon ventre se creuse dans le même temps que mes fesses s'enfoncent avec plus de force, corps librement offert, cuisses largement ouvertes, toute entière tournée vers les délices que je me procure.
Progressivement, la caresse se fait plus précise, plus intense, profonde et voluptueuse, s'enhardissant jusqu'à pénétrer l'étau soyeux des chairs, que j'explore sans relâche de mes doigts durs, provoquant de doux râles qui fusent comme un appel.
Cambrée, tendue sur la couche, je poursuis ma quête, découvrant à chaque avancée une sensation, une excitation nouvelle, renforcée par l'image gravée derrière mes paupières de son visage, de la brûlure de ses yeux posés sur moi, quand en chef d'orchestre exalté, il faisait vibrer, résonner et psalmodier chacune des fibres de mon corps.
Derniers accords de cette symphonie solitaire, qui me laisse pantelante, haletante, pour un temps assouvie, lascivement étendue, bras en croix au cœur de cette couche. Une douce torpeur m'envahit, à laquelle je me laisse enfin aller.
Profond oubli.


Je me fais réveiller par l'alarme de mon téléphone. Je pensais avoir mis un truc cool. C'est juste horrible. Je sursaute, ne sais plus où je suis, ni qui je suis.
Ça ne dure pas. Malheureusement.
Rituel millimétré, s'il ne fallait pousser au cul ces satanés gosses qui prennent un malin plaisir à le foutre en l'air.
Je les aime. Mais je pourrais les tuer. Oui, encore...
Cet art qu'ils ont de me faire passer pour la vilaine. Oui, je gueule et je rabâche. Oui, je vous pourris la vie, mais pas plus que vous ne me la pourrissez. Bande d'ados adolescents ! Je vous aime et je vous hais.
Litanie familiale...
Un matin comme un autre, donc. Un de plus, qu'il me fait chier de vivre.
J'ai des envie d'ailleurs. De fuite, en gros. Réflexe trivial et protecteur. Mais pas les "couilles" pour le faire.  J'ai beau écumer les sites de voyage, et baver, rêver, je bloque. J'ai peur, mais même sous la torture je ne l'avouerais pas. Peur de cette foutue solitude. Je suis une femme moderne et forte, qui assume et s'assume, merde !
J'ai assez fait chier le monde avec mes discours progressistes et féministes.
Alors j’enchaine les matins chagrins, les soirs chafouins.
Et je m'y recolle, encore et encore.



Maman continue de pavaner avec son petit bichon en bout de laisse. Il promettait pourtant. Il fuit mon regard quand nous nous croisons, sa superbe est retombée. Elle a du lui vendre du tout-puissant, ouverture sur les hautes sphères. Ouvre ton sphincter ! Oui, ça me fait rire...

Mon "chef" est revenu,  je remplis mon office dans mon office à coup d'Office. Ça lobotomise tout ça, difficile de trouver une formule valable, s'cusez. Je crois que je deviens un peu folle. Et là je truciderais bien ma mère et ses contes de fée du soir.
Ah non, elle ne m'en a pas lu ! C'est moi toute seule qui me suis pervertie. Connasse ! Heureusement, je n'ai eu que des fils.
Alors maintenant, tu arrêtes de rêver et tu te plonges bien la tête dedans. Je ne sais pas ce que tu peux encore rêver ou espérer. T'as pourtant déjà bien entamé ta tartine, barbouillée d’étrons sur les deux faces. Qu'elle tombe d'un côté ou de l'autre, c'est toujours la même merde.
Et en parlant d'étron, celui que je croise dans le couloir et qui me tient le crachoir vaut le détour. Au risque de faire cliché, lui est en plein dedans. Non, pire, il l'est. Une merde.
J'opine du chef, je souris, je me montre déférente, quand je me voudrais "déféquante". Je glousse, je papillonne.
Il me saoule de paroles vides, pendant que ses yeux porcins détaillent ma silhouette. Je devine sans mal les trucs dégueulasses qu'il voudrait me faire. Je lui rends sourires et petites mines, parce qu'il est placé dans la hiérarchie des enfoirés qui me font bouffer.
Je me creuse profondément (sûrement autant qu'il voudrait le faire) pour trouver un truc à lui répondre. Je cherche, pour sortir au final un truc puant, mais pas tant.

-"Et votre femme, l'accouchement s'est bien passé ?"

Dans ta gueule. Tes envies de mec frustré de cul, tu te les gardes.
Un pas en arrière et le sourire qui se fige. Il fait bonne figure, mais il n'y est plus. Bon, j'ai joué serré. Il va m'en vouloir. Je dois rattraper le coup, mais en le gardant à distance.

- "C'est toujours des moments difficiles dans un couple, ce petit être qui vient troubler l'équilibre... Il prend tant de place... Plus le temps pour rien et on se sent si impuissant.. Mais vous savez que vous avez toujours des amis près de vous pour vous soutenir. "

Je glisse mon bras sous le sien, presse mon sein l'air de rien, lui sourit en coin.

- "Je serais toujours là pour vous écouter, et tous vos collègues, ici."

Il sourit, jaune, désamorcé, l'herbe coupée sous le pied. J'aurais pu éviter "l'impuissant", vous pensez ?
Pov' tâche.
J'en ai marre. N'y a-t-il vraiment plus que des pauvres mecs sur terre ? Des cinq à sept, des cinq à sec ?



CHAPITRE II


J'en ai connu un d'une autre sorte, une fois. Enfin connu, je ne sais pas. Je ne connaissais rien de ses codes, en tous cas. Même si j'en avais entendu parler, si je savais "que ça existait".
Suis pas si bégueule, j'avais quelques notions, en fait. Vous savez... De ces hommes qui.. que l'on... De ceux qui aiment que... et s'évertuent à...
Je me suis embarquée dans l'histoire un peu par hasard et je me suis prêtée au jeu. Ça m'apprendra à avoir des airs de "Dom". Et à parler un peu comme elles (pardon pour le raccourci stéréotypé totalement faux et abusé, réducteur et rétrograde, mais il y avait de ça quand même...), et à les narguer et les toiser. Et avoir toujours ce petit côté pervers qui me titille et me pousse à aller au bout des choses, à les provoquer, jusqu'à leur extrême.

Bref, voilà un homme qui me sourit, se montre prévenant et attentif... Il tire ma chaise pour que je m’assoie, est au petits soins, parfait gentleman. Ce que j'ai cru au début... Sauf que son excès de zèle a fini par me mettre la puce à l'oreille.
Son regard est trop doux, qui n'ose pas vraiment affronter le mien, ses gestes apprêtés, délicats, attentionnés, qu'un putain de rustre plein d'hormones ne saurait avoir. Et même un de ces bellâtres qui cache sous des dehors charmants des desseins inavouables.
Il me fait la conversation, s'intéresse à moi, sans jamais aller trop loin, à risquer de me mettre dans l'embarras. Il me met en avant... C'est grisant, hallucinant et excitant. Il y a des hommes qui peuvent ne pas penser à eux en premier lieu ? Vraiment ?
Il me fascine...
J'ai envie que le temps se suspende, ravie d'être enfin réellement écoutée et entendue, sur ce petit nuage qu'on croit ne pas pouvoir exister. Il m'y cueille comme une fleur fragile, m'y dépose avec délicatesse, m'enrobe et me ouate de douceur.  Je lui réponds par un sourire, mais du bout des lèvres, un peu froidement au départ, sans familiarité, acceptant semble-t-il naturellement ses marques de déférence. C'est que je suis mal et que ne je ne sais pas vraiment comment me comporter.
Son naturel finit par me mettre à l'aise et nous devisons pendant un temps, parenthèse des plus agréables, que je n'ai pas souvenir d'avoir eu avec un homme depuis des lustres. Discussion à bâtons rompus, légère et subtile, drôle et spirituelle. Jusqu'à ce que je vois dans son regard une étincelle, un éclat qui ne me trompe pas sur la vraie nature de notre échange.

Je sens alors que je vais devoir sortir de cette bulle qu'il a créée pour aller le rejoindre sur son terrain...
J'en ai envie. D'aller plus loin dans cette voie qu'il m'ouvre et dans laquelle il m'attire si subtilement. Sa délicatesse et son abnégation viennent faire vibrer en moi des cordes insoupçonnées, des pulsions étouffées. Lui donner ce qu'il attend, mais pas que pour lui.
L'excitation monte. Il me plaît. J'ai envie de lui. Même si je ne sais pas encore quelle forme ça prendra.
Nous sortons du bar où nous avions rendez-vous. Je ne sais si je dois prendre l'initiative, probablement le devrai-je. Mais je ne veux pas l'amener chez moi et je ne suis pas une habituée des hôtels. Une fois encore, il se montre parfait. Il arrête un taxi, donne une adresse. Je m'installe à ses côtés sur la banquette, tête et dos droits, fière, alors que je n'en mène pas large. Il me sourit.

- " Si vous le permettez, Madame, je vous emmène chez moi. Soyez sans crainte, je ne ferai rien que vous ne souhaitiez me voir faire."

Tout est dit. J'acquiesce d'un sourire et d'un hochement de tête. De toute façon, j'aurais été incapable de dire quoi que ce soit. Dans ma tête se chamboulent tant et tant de pensées. Et avant tout la crainte de ne pas le satisfaire, lui...
Oui, c'est à lui que je pense, et non à moi. Encore un truc dément. Quand toujours et encore c'est mon plaisir, et souvent son absence, qui me frustrait par avance et me coupait l'envie, cette fois, c'est moi qui aie peur. Je ne sais pas ce qu'il attend, ni comment y répondre. Je me sens désemparée, impuissante...
Ce renversement de situation me déroute et me déstabilise. Et m'excite. Énormément. Je frissonne et je frémis. Ça me prend aux tripes, ça remonte dans le plexus et ça vient faire cogner mon cœur, très fort dans ma poitrine. Je peine à maîtriser mon souffle. Je garde mes mains sur mes genoux, ou plutôt entre mes genoux, pour qu'il n'en voit pas le tremblement. Petite écolière à sa première leçon de domination...
Putain, comment on domine un homme ? Sûrement pas simplement en le chevauchant. Ça fuse dans ma tête, des réminiscences de films de boules, de trucs lus par hasard ou presque... Mais ça ne m'avance pas plus. Par contre le taxi lui, a bien avancé et nous voilà devant chez lui.
Il descend, me tient la portière, je m'extirpe tant bien que mal avec un minimum de contenance et de prestance, le suis jusqu'à la porte de son immeuble dont il me tient encore une fois la porte ouverte.

Ascenseur. Huis clos. Face à face. Mon souffle suffoquant que je comprime dans ma poitrine. Pourvu qu'il ne se rende pas compte ! J'implore le dieu des dominatrices de m'insuffler sa force et sa rage. Son courage. Et l'inspiration.
Je me colle contre la parois froide, même si elle ne fait en rien baisser le feu qui couve en moi, faussement désinvolte. Je continue de le détailler, remontant des pieds à la tête, mes yeux se plantant dans les siens, si faiblement fiers. Mais je garde la tête haute, le menton dressé, un sourire d'assurance factice plaqué sur les lèvres. Je pose, et heureusement que nous arrivons à son étage avant que je ne finisse par paraître tout à fait ridicule...
Il me précède, ouvre la porte et s'écarte pour que je le devance dans son antre... En lieu et fait d'antre, c'est un loft épuré et purement masculin que je découvre. Espaces sobrement délimités et meublés, de bon goût, tons chauds et décoration choisie.
Il m'invite à m'asseoir, canapé d'angle en cuir fauve, coussins pour se caler les reins... Je m'y pose, tentant de ne pas m'y engloutir tout à fait. J'accepte avec joie le répit qu'il m'offre à me proposer une boisson. J'espère que le bar ou la cuisine sont loin. Mais il revient bien vite, les verres à la main, qu'il dépose sur la table basse. Je m'empare du mien, faible rempart, le porte haut pour un toast qui ne me sauvera que quelques secondes encore.
Il me fixe un instant, avant de baisser les yeux, vers mes jambes gaînées de nylon, mes talons... et de poser son verre contre ma cheville, de l'y faire courir et tourner, irrémédiablement, de l'enrouler avant d'en venir boire une gorgée.
Il glisse à mes genoux, boit encore, et ses lèvres viennent frôler ma peau, chaudes et sensuelles, contraste avec la fraicheur du verre garni de glaçons. Je frissonne encore. Elles naviguent sur la cambrure de mon pied, que sa main vient déchausser, et empaumer.  Cendrillon inversée, que le Prince Charmant voudrait dépouiller pour mieux posséder. Je ferme les yeux, renverse la tête, me livre à sa volonté...

Oui, sa volonté, celle de me choyer et de me révérer... C'est si simple en fait... Ma main se pose naturellement sur sa tête, mes ongles s'enfoncent dans sa chevelure et pressent doucement, le guident tandis que sa bouche remonte inlassablement... Je sais où je veux qu'il aille, et je n'aurais pas à le lui dire. Il continue de progresser, sa langue laissant une trainée de feu tout au long de mes cuisses, qu'il lèche et mordille tour à tour.
Je m'ouvre au fil de son ascension, déjà avide de le voir parvenir à son but. Ses yeux qui me cherchent parfois, voilés d'envie et si emplis du désir de bien faire, son souffle rapide. Je sens mon ventre en éveil, attisé par ses lèvres et sa langue qui se faufile. Jusqu'à y parvenir, enfin...
C'est ce moment que je choisis pour le repousser. Je l'empoigne par les cheveux, le tire à quelques centimètres de ma culotte, pour qu'il sente encore les effluves de mon désir, qu'il en voit les effets, les tremblements sur ma chair, et mon sexe qui pulse et se contracte sous le tissu transparent. Repais-toi... Vois comme j'ai envie... Comme tu pourrais...
Son sexe plaqué contre ma jambe à laquelle il se frotte est dur, vibrant. Je la lui retire, aussi. Nous voilà privés tous les deux. Mais moi, je vais jouir. Parce qu'il va juste me donner sa langue, sans rien toucher d'autre de moi, que ce petit sexe miniature, si bravement érigé dans ma chair. Et sans se toucher, lui...
Je lui énonce les règles... Je ne veux que cette langue, interdiction de me toucher ou de se toucher... Planté entre mes cuisses . Il sourit. Je m'ouvre largement, bassin posé sur le bord de ce canapé qui m'engouffrait il y a si peu encore. J'y pose le bord de mes fesses, au ras de sa bouche.
Je suis partie, emportée dans cette envie pure de sexe, de plaisir, d'un homme qui ne serait là que pour moi. Ce fantasme.
Ne reste que ce faible rempart, un once de tissu, un no man's land de quelques dixièmes de millimètres entre sa bouche et mon sexe assoiffé. L'idée me traverse de lui demander de la retirer avec les dents, mais le cliché me freine. Et pourtant...
Je me contente de l'inciter à la baisser, lentement, sans s'écarter. Qu'il la dévoile, juste là, à sa portée, à ne perdre ni la vue sur la nacre de mes chairs irisées par la mouille qui les fait luire, ni sur la fragrance du désir qui en émane. Je veux qu'il prenne pleinement conscience de ce qu'il a engendré et comme je vais en jouer, en jouir. Que nos sens exacerbés à l'extrême mènent à MON plaisir.

Je peine à rester impassible, quand  je meurs d'envie qu'il y plante sa bouche, mais je prends sur moi. Mue par un détours pervers de ma pensée, je me saisis de ma culotte tombée au sol, la lui glisse entre les lèvres. Elle est pleine de moi. Sa bouche se fait gourmande, happe et suce le tissu imbibé. Je vois dans ses yeux grandir l'envie et le désir, l'attente qui devient difficile à soutenir... Je colle ma bouche à la sienne, avec entre nous mon goût et mon odeur, nos langues qui se mêlent au travers de ce voile.
C'est à ce moment que ma main vient s'insinuer dans la fente luisante, en cueille le nectar que je porte à sa bouche, sans l'entrave de ce tanga que je rejette loin, pour qu'il suce la pulpe de mon doigt, enduite de moi... Goût pur, prononcé, non plus ce fac-similé. Il grogne, nos bouches toujours jointes, avant que je ne guide sa tête d'une pression vers le bas. C’est le moment. Viens. Poses ta bouche sur moi, et fais le bien.
Et il le fait bien... De la pointe, qui vient juste titiller et agacer, exacerber quand je suis déjà au bord de l'orgasme. Je dois tirer une fois de plus sur ses cheveux, le reculer, reprendre mon souffle. J'ose à peine poser mon regard sur lui, que je vois impatient et si avide de me complaire. Je le garde à distance, passe un doigt fébrile tout au long de moi, le fait jouer entre mes lèvres, si gonflées, le lui fait sucer encore. Il le gobe et s'en délecte. Je le nourris à la fontaine de mon désir.

Lentement, suivant mon doigt, je l'amène de nouveau vers mon sexe  pour qu'il le prenne cette fois à pleine bouche, ce qu'il ne manque pas de faire, s'y ruant comme un assoiffé sur une oasis surgie du désert. Sa langue s'insinue brutalement, me pénètre, s'engouffre, avant de ressortir et de venir prendre possession de mon clitoris pour s'y enrouler et le faire jaillir, et gonfler encore, et se tendre, à exploser. Nos désirs se mêlent et s'entremêlent, mais je dois garder le contrôle. Je le tire encore une fois brutalement en arrière, l'observe. Ses lèvres sont gonflées, ses yeux exorbités, sa poitrine malmenée. Son excitation m'excite, comme si j'avais encore besoin de ça.
Je le garde un temps à l'orée de moi, encore oui, c'est la règle du jeu. Celle que je me crois de devoir appliquer. Le temps de le savoir plus fou encore, à me bouffer, me dévorer. Je relâche la pression de ma main et sa bouche se rue sur moi, me fouille et me viole... Se repait de moi. La jouissance fuse, explosion fulgurante, née de cette situation, de cette excitation inattendue et inespérée. Mes cuisses se resserrent autour de sa tête, l'emprisonnent. Je le maintiens un temps, tandis que sa langue n'en finit plus de courir sur moi. Jusqu'à ne plus en pouvoir.
Et cette fois je le rejette brutalement, après avoir goulument joui. Je prends de longues minutes à reprendre conscience. A me souvenir quel jeu nous jouons, si peu familier, et qui me demande une concentration que je suis loin d'avoir. J'inspire profondément et me coule à nouveau dans mon rôle, quand tout en moi n'appelle qu'à l'abandon.
Il est toujours planté sur ses genoux, le sexe dur et fièrement tendu, qui déforme d'une manière un peu grotesque son pantalon. Je me lève, non sans le toucher au passage, accentuant même le frôlement de mon mollet sur son membre que je sais au bord de la rupture. Il crispe les mâchoires. Il lui faudrait si peu. Je ne le lui donnerai pas, non.... Il le sait et je vois dans son sourire et son regard reconnaissant, son acceptation. Je me penche à son oreille, lui souffle bien au creux, chaudement, de garder son excitation, de me la réserver. Parce que je n'en ai pas fini avec lui, et que nous allons nous revoir bientôt, et que je veux qu'il soit prêt pour moi.
Ma voix ne m'aura pas trahie, je l'en remercie...
Je quitte le loft sans un regard en arrière, mal assurée sur mes jambes, mais grandie de cette expérience. Et avec dans les tréfonds de mon antre, l'envie folle de renouveler "ça".

Et je n'ai pas tardé à y replonger. J'en ai rêvé, je m'en suis même masturbée. Un bref coup de fil et nous avons convenu de nous retrouver, chez lui à nouveau. Je sonne et la porte s'ouvre. Il est face à moi, quasi nu, éphèbe au corps de rêve. Je me sens transportée. Je ne peux être que dans un songe... Tant de perfection, de mes aspirations concentrées, de mes fantasmes exaucés...

Je m'avance avec assurance. Cette fois je sais. Je pose une main sur son torse, fais glisser mes doigts d'un téton à l'autre, les pinçant juste, puis jusqu'à son bas-ventre, où ils se crispent, jusqu'à venir enfoncer mes ongles dans la chair tendre de son pubis. Ses frémissements me confortent dans nos envies mutuelles. Je le plaque contre le mur, renforce la pression de ma main sur son aine, ma bouche prend la sienne, violente et possessive. Ma langue s'insinue comme ma main, qui vient englober son sexe et le branle. Je le sens durcir. Membre vibrant et vivant qui s'anime sous mes caresses. Il râle et souffle, se cambre. Je ne saurais vous dire à quel point ce moment entre dans un des plus parfaits de mon existence...
J'ai une envie folle de le sucer. Je m'agenouille, dégage son sexe de son boxer, le voit en jaillir, y pose mes lèvres, que je sais brûlantes et le gobe à pleine bouche.
Je bafoue tous les interdits, piètre Maîtresse qui vient ainsi se jeter aux pieds de son soumis. Mais je le veux pleinement à moi, au summum.
Et puis je suis une maîtresse du samedi soir, de ces fantoches. Alors merde ! J'en profite. Je le sais parvenu à ce stade d'excitation ultime quand ses mouvements de hanches se font de plus en plus vifs et incontrôlés, quand il est au bord de la rupture et que je le prive de ma bouche.
Je me redresse, souriante, m'écarte, finis d'entrer et me comporte comme si j'étais chez moi. Je ne me retourne pas pour voir s'il me suit. Je sais qu'il le fait. (C'est comme ça que je l'ai prévu, en tous cas...). Je parcours les espaces jusqu’à trouver la chambre. Je ne doute pas qu'il y cache ses petits secrets et ce dont nous aurons besoin pour le rendre heureux et me mener à l'orgasme.

 Ici, oui.
- "Montres-moi."  Un bref coup d’œil vers lui, un sourire entendu, qu'il me rend.
Il se dirige vers une armoire qui dévoile tout un arsenal auquel je ne me serais pas attendue et dont j'ignore l'utilité de la majorité des accessoires. Il va me falloir improviser, encore...
Je choisis pour commencer quelque chose qui me semble facile à manier et qui devrait le ravir. Une jolie cravache de cuir, finement tressée. Je me plante devant lui. Il est retourné se placer au pied du lit, la sexe toujours aussi tendu, presque plus encore même. C'est que ça l'excite le bougre ! Qu'à cela ne tienne, je vais commencer par le menotter, pieds et poings liés... Ne crois pas que ce sera si facile et rapide... 
Je passe derrière lui, non sans laisser frôler mes seins contre son dos, fixe les bracelets de cuir à ses poignets, reliés par une chaîne, attache de la même façon ses chevilles, mon souffle chaud comme une caresse le long de sa colonne vertébrale, entre ses fesses...
Bref attouchement qui fait tressaillir son membre avant que je ne le bascule sur le lit. Le voilà livré à moi, avec ce membre turgescent dont je suis la seule maîtresse... Et qui m'appelle. A moi de lui répondre...
Je me saisis donc de la cravache. J'aime ce petit rectangle de cuir à son extrémité, si souple, que je fais courir sur ses lèvres, lui demandant de le sucer. Qu’il y passe la langue pour l'humidifier, avant que je ne le fasse parcourir son torse, ses tétons. J'en fait le tour, et quand ils se dressent enfin, je m'amuse à les tapoter, les agacer un temps. Ils pointent et je le sens frémir. Je continue mon exploration le long du plexus, sur la chair fine et tendre du bas ventre... Je l'en balaye, sa peau frissonne. Et je frissonne aussi.
Je suis à la limite de son membre, je le contourne, passe sur l'aine, descend vers l'intérieur des cuisses, contre ses bourses. Elles se contractent tandis que son membre se raidit plus encore. Je ne résiste pas à l'envie de lui assener un petit coup sec. Il sursaute, laisse échapper un gémissement qui n'a rien de douloureux. Je recommence, plus vivement cette fois et c'est clairement un soupir de plaisir qui lui échappe. Encore alors... Et c'est cette fois presque un râle... Je retiens à peine ma main, quand elle tape enfin pour de vrai... Et je vois son visage s'extasier, ses yeux se révulser...

Trop de plaisir, il faut arrêter. Passer à autre chose... Encore une fois, c'est le jeu... Un jeu qui me dépasse mais  me galvanise, m'amène à me comporter comme une étrangère à moi-même. Je me recule, descend du lit, qu'il se sente seul et dépossédé. Sa mine un peu perdue et la peine qu'il semble à reprendre ses esprits me confortent dans l'idée que j'ai choisi la bonne attitude.
Je décide enfin de me déshabiller, il est temps. Tournée vers lui, je fais lentement glisser ma robe, dégageant une épaule après l'autre, un sein après l'autre, qui rebondissent un peu quand le tissu les libère et vient enserrer la taille. Mouvements de hanches, ondulations, pour faire passer leur rondeur, et enfin, l'enjamber, et me retrouver dans cette guêpière et ces jarretelles que j'ai trouvé l'occasion de porter...
Ses yeux brillent, sa bouche luit, sur laquelle il passe une langue gourmande quand je viens m'agenouiller au dessus de lui, à la fixer. J'avance les hanches, colle ma vulve à sa bouche, avec pour seule frontière ce tissu diaphane. Il y plonge, cherche à s'en emparer, mais avant qu'il y parvienne, je bascule sur lui, me retourne, de façon à avoir sa verge sous mes yeux, ma main, et cette cravache que je n'ai toujours pas lâchée. Fesses cambrées, qu'il peut contempler, à la lisière de ses lèvres, de ses narines que les phéromones que je délivre en masse doivent enivrer.
J'insinue délicatement le manche de la cravache entre ses fesses, la fait aller et venir, frottant sur ce petit bouton de rose qu'il m'offre en écartant aussi peu que le lui permettent les liens qui lui entravent les chevilles. Je force à peine, le retire, le fait venir à nouveau, vois comme il cherche déjà à s'ouvrir. J'insiste, presse un peu plus, très brièvement, parce que je viens frapper ses bourses d'un coup vif de la main. Il râle, se mord la lèvre et sa fleur s'épanouit de plus belle. Je l'agace encore de quelques allées et venues, avant de le pénétrer enfin, d'un mouvement fluide et assuré. Il râle, se tend, se cambre, réclame... Je savoure et l'exaltation monte. Je le prends par l'intermédiaire de cette tige de cuir.  Maîtresse d'une source de plaisir jusqu'alors inimaginée.
Mais je le veux mieux offert, disposé à subir mes outrages. Je me prends au jeu, me laisse submerger par lui. Je le fais basculer sur le ventre, tandis que je me retourne pour être dans le même axe, ses fesses galbées bien positionnées, relevées. Il creuse le dos, m'offre une vison et un accès parfait à son intimité, que je vois pulser et réclamer. Il est temps de passer à l'étape suivante, et c'est d'une main sûre maintenant que je m'empare du gode-ceinture que j'avais posé sur le rebord du lit et le fixe à ma taille.
Je vois ce phallus, cet emblème, ce symbole. Je le vois là, sortir de moi, quand toujours il y entrait. Sentiment de toute puissance, excroissance qui me fait croire à ce semblant de pouvoir, de maîtrise...
Il tourne la tête, me regarde, et je vois à son expression que c'est ce qu'il attend et espère, appelle de tous ses sens. L'envie et le désir qu'il dégage balaient mes dernières réticences, et c'est d'un mouvement brutal des hanches que je m'enfonce en lui, pénétration dont je ressens les vagues et les soubresauts jusque dans mon ventre. Je suis électrisée, prise de frénésie, et c’est tout naturellement que je commence à le baiser, allant et venant, sur un rythme de plus en plus effréné, emportée par ses gémissements, ses cris.  Jusqu’à son plaisir qui devient peu à peu le mien et dans lequel je me perds...

Je reste un instant haletante, penchée sur lui, avant de "me retirer", de me laisser tomber sur le lit, à son côté, dépassée parce qui vient de se produire. Je ferme les yeux, tente de reprendre mon souffle et mes esprits.
En les rouvrant je croise son regard, y lis de la reconnaissance, un sentiment de plénitude. Ça ne suffit pas à me rendre à moi-même, mais me ramène assez à la réalité pour le défaire de ses menottes, me libérer de ce sexe qui n'est pas le mien, pas tout à fait...
Je m’affale à nouveau, dos à plat. Moment qu'il choisit pour poser sa tête contre mon épaule, englober mon sein de sa main, y poser la bouche. Je l’entoure d'un bras hésitant, ne sachant plus alors si je tiens contre moi un amant à ma merci ou un enfant perdu, éperdu...



Jusqu'au bout j'aurais été déstabilisée, poussée dans mes retranchements. De scenario en scenarii, il aura puisé dans mes réserves, jusqu'à pomper ma force vitale. Je n'ai pas su suivre. Pas pu. Ce qu'il m'apportait me coûtait tout autant.
Notre histoire s'est achevée, sur une frustration. Nous ne pouvions espérer un autre dénouement.
Je ne pouvais rien pour lui et lui rien pour moi. Sinon garder une amitié profonde, de celle que je n'aurais jamais pu concevoir avec un homme. Et en cela, je lui serais éternellement reconnaissante.
Là où certains se rengorgeraient à voir de l'avilissement, de la faiblesse ou de la perversion, j' ai trouvé une vérité, une véracité et une honnêteté, un don et un abandon, une humanité sans borne et sans far. De celle qu'il ferait si bon pour beaucoup de faire sienne...

De la vengeance que je pensais prendre sur les hommes, à les malmener comme parfois ils me  malmenaient, je n'en aurais rien pris. Et plutôt appris. Il m'aura éveillé, tant à des pratiques qu'à une vision, une acceptation, une conception qui m'aura fait grandir, évoluer dans la notion de tolérance et de respect. De don de soi.
J'en suis sortie un peu groggie. Purgée de mes certitudes, de mes rectitudes, de mes fausses attitudes de fausse mansuétude.





CHAPITRE III


Les semaines ont glissé comme une perle d'eau sur un tissu imperméable, sans laisser une marque, la moindre trace d'une once de quelque chose. Pour vous dire comme je me suis fait chier.
Pas que je manque d'occupations. Entre les corvées ménagères que je torche, les course que je balance dans le caddie pour en faire des repas à peu près convenables, (parce qu'on nous le matraque bien assez fort, arrêtons de bouffer de la merde, même si on ne nous vend que de la merde), et les enfants qui me considèrent comme une daube qui ne sait rien de rien, sauf à gérer leurs embrouilles, leurs devoirs, leurs états d'âme, leur mauvaise humeur, leur ingratitude, leur égoïsme et leurs petits bobos...
Robot robotisé, parce qu'une femme moderne fait-ci, comme-ci, comme-ça, parce qu'une mère célibataire, battante, assume et assure, parce qu'une femme est plus qu'une femme et qu'un homme à la fois réunis.
Oui, mais là, je me sens franchement impuissante et otage. Et vide, creuse, amputée de MA vie. Actrice et spectatrice d'un ballet qui se danse avec et sans moi. Pantin. Poupée désarticulée dont tout un chacun tire les ficelles, et dont j'ai perdu le contrôle.

Perte de contrôle...
Il était venu en conquérant. Je L'avais renvoyé comme un manant. Il était revenu en dominant. Je L'avais reçu comme un déviant. Il était apparu comme un amant, je L'avais perçu comme un aimant. Aimant... double sens dont je n'avais pas conscience alors.

Non ! Ce n'est franchement pas le moment de te laisser aller à ces leurres. Il n'a pas existé, tu n'as pas fait ça.
Ce soir, tu as rendez-vous avec ta meilleure « cop's »  Rachelle, et tu vas t'éclater ! Oui, faut se motiver et se mettre dans l'état d'esprit ! Ouais, soirée filles ! J'en bave. Entre rage et dégoût.
J'écume ma garde robe. Non pas qu'elle soit blindée, mais justement parce que je n'ai pas grand chose à me mettre. J'ai déjà fait le tour de ce que j'ai de mieux. Je me rabats sur l'éternelle petite robe noire. Une paire d'escarpins, un maquillage élaboré mais discret, façon dernier article du magazine à la mode, qui fait d'un boudin un canon.
Elle vient me chercher, je la fais monter. L'occasion d'écluser quelques verres, et se mettre "en condition". En condition de se jeter à la tête du premier "bogosse" venu ? On picole un peu donc, on se raconte des anecdotes de boulot, de cul, et on se met en route.
Direction le dernier bar branché, forcément. Ça pullule de bimbos et de postulants en puissance pour la télé-réalité. Quelques quadras disséminés, accoudés au bar, ou en grappes agglutinées à des tables. C'est eux qu'il faut cibler. La chasse est ouverte. Parée, armée, feu !
Bon ça n'a pas l'air tout ça, mais c'est plus subtil qu'il n'y paraît. Faut attirer l'attention sans l'attirer trop. On n'est pas des putes. Juste des meufs en manque de mec. 'Fin de mec pour meubler une soirée. Rire et s'amuser un peu, se faire payer des verres, au besoin tirer un coup si l'envie se fait sentir.
Première étape, danser, se déhancher, se dérouiller, rire un peu fort et trinquer, faire tinter les coupettes, pirouette, cacahuète.
Généralement ça marche. Il y en a toujours un ou deux pour lever son verre dans notre direction, et finir par se lever tout court. Ça vient d'abord en reconnaissance, se dandinant timidement, avant de prendre ses aises et de nous faire profiter de la saveur âcre de sa sueur mêlée au déo 5 en 1. Et ça rameute ses potes et on se retrouve encerclées. C'est le moment où il faut gérer tout en finesse.
Et où on en repère un qui pourrait faire l'affaire.
Je le tiens. Il est le plus insistant, me sourit, me fixe de ses yeux un peu troubles mais perforants (oui ça se peut).  L'air de rien je recule de la mêlée, l'entraîne avec moi, ma main "délicatement" glissée dans la sienne. Je continue de danser, de me trémousser. Il me suit, ravi.
Pas vilain, du charme et un côté excitant. Un peu animal et bestial. Un « je ne sais quoi » de sexe qui réveille mon ventre. J'accentue ma danse, l’incite à se faire plus pressant, mais en tout bien tout honneur !  Une notion de fille difficile à cerner, je l'avoue. Entre le "je te permets de t'approcher très près, mais pas trop » et « t'es fort si tu cernes la limite." Mais ça fait partie du jeu. Il se débrouille bien, bouge ce qu'il faut pour me donner à penser que...
Mais bon, nous n'avons pas parlé encore. Je lui chuchote à l'oreille que j'ai envie de me poser, excuse pour l'attirer dans un coin plus calme.
On se trouve une table au fond du bar, on se hisse sur des tabourets hauts, inconfortables au possible, mais au design irréprochable, et on se colle, tête à tête, ou bouche à oreille, alternativement, dans l'espoir de s'entendre.
Je vous passe le discours insipide qu'il me sort. On l'a toutes entendu au moins une fois. Une fois, je suis gentille. Sorti du parfait manuel du crétin en puissance. Mais franchement, c'est comme ça que vous nous voyez ?
Je te vante un peu de ton physique, mais je vois bien que t'es une fille qui sait ce qu'elle veut et ne veut pas... Mais comme tu sais ce que tu veux et que t'assumes, ce soir, tu vas coucher avec moi !
Espèce de connard ! Il a beau avoir voulu y mettre les formes, il s'est vautré dans le cliché.
Ça a lu ou entendu que les femmes revendiquaient leur liberté sexuelle et ça croit que pour ça, elles baisent le premier qui leur régurgite des poncifs de bourgeoises mal baisées, véhiculés par des bourgeoises tout aussi mal baisées. Au secours. A quand une presse féminine qui aura compris les femmes...
Mais faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Il n'y aura rien de mieux ce soir. Il est plaisant à regarder, facile à manipuler. Et à en voir la langue de Rachelle, (cochonne !) fourrée dans la bouche d'un bel étalon, on n'est pas prêtes à partir.
Je le regarde plus en détail. Je m'attarde sur ses yeux. Sur sa bouche. Sur ses mains.  Je me demande si j'ai envie de les sentir sur moi. Léger frisson le long de la colonne... Oui, quand même.
Il faut juste dépasser l'idée de futilité, d'éphémère, pour y trouver un intérêt...
La jouissance ! Mais oui, le plaisir ! Le coït ! Lui sur moi, ou moi sur lui, mais en moi et le plaisir sensé en découler.
Putain... Deviendrais-je frigide ? L'idée m'effleure et m'effraie un moment. Mais non. J'ai quand même bien envie de profiter des atouts du monsieur. Je ne lui demande rien d'autre que de me faire jouir, après tout. Phénomène naturel et nécessaire à un bon équilibre hormonal...
Ouais... Allez, on va reboire un coup. Et c'est toi qui rince, mon pote !
Après quelques verres, il arrive à me faire rire. Je colle mon épaule à la sienne, penche la tête vers lui avec des gloussements de dinde, lui souris espièglement, lui coule des regards de biche aux abois, des minauderies de chatte léchant du petit lait... Elle est tendancieuse cette métaphore... et en plein dans la débâcle animalière. Période de rut ?
Ressaisis-toi un peu, que diable ! D'autant qu'il en profite pour chercher à insinuer la main, qu'il a posée sur mon genou, bien plus haut que je ne le souhaite. Ni une ni deux, je la choppe, l'amène contre ma joue, l'y frotte, l'air de m'en délecter, l'amène tout contre ma bouche. Quitte à faire connaissance avec mes lèvres, commençons par celles-là.
Mes yeux dans les siens, qui deviennent de plus en plus vitreux (les siens), je continue mon offensive. Je ne sais pas ce que je préfère. Le voir partir, plonger, se noyer et happer chaque bouffée d'air et d'espoir que je lui insuffle par la moindre mimique, la moindre moue, ou avoir sur lui cette emprise.
Ma bouche glisse sur ses phalanges, vient englober la pulpe de son majeur, mais sans s'attarder poursuit sa course. Je le vois perdre pied. Sans le quitter du regard, je repose sa main sur mon genou, avale une gorgée de mon verre, en laissant ma langue y plonger pour en saisir la dernière goutte. Je crois que c'est le coup de grâce, ou de garce.
Il est mûr. Même trop mûr... A ce stade, je n'en tirerai plus rien. L'imaginer s'écrouler sur moi, dégoulinant de sueur après s'être évertué à s'agiter, s'acharner en tentant de conserver sa simili bandaison me répugne.
Deviendrai-je VRAIMENT frigide ?... Ou simplement n'ai-je plus envie de ça ?
Je regarde autour de moi, je les vois qui s'agitent, pantomime macabre, masques factices du bonheur et du plaisir figé, forcé, d'une joie de vivre qu'on se doit d'exprimer, de revendiquer, de projeter.
J'ai envie de vomir. Peut-être l'abus d'alcool, peut-être le dégoût. Envie de fuir, loin, tout de suite. Sous prétexte d'un passage aux toilettes, je m'éclipse et prends un taxi.


Le réveil est difficile, à plus d'un titre.
Message incendiaire de Rachelle pour l'avoir plantée, harcelée par un prétendant éméché qui ne comprenait pas ma disparition soudaine.
Mal de crâne et de vivre chevillé au corps.
Journée sans but, aucun sens à lui donner.
Je me recouche. Et je rêve.
Sebastien Tellier, "L'amour et la violence", qui berce mes songes, les guide et les influence.

Force et gravité. De celle dans laquelle je m'enfonce, à me questionner, me raisonner, me brider. Montée, envolée, vers ce quoi à je tends, que Tu m'offres et que je renie.
Je sens à nouveau Ton regard, qui aime tant à s'attarder, s’appesantir, s'enhardir, s'insinuer et s'immiscer. Me pénétrer. Me posséder.
Tes yeux qui me transpercent et me tourmentent, me violent. Tes mots qui me forcent et contre lesquels je ne peux rien. Que j'accepte alors qu'ils me révulsent. M'excitent.

Des sanglots troublent mon sommeil sans me réveiller.

Ta voix aussi me hante. Ces mots, ces désirs susurrés, ces ordres proférés. Ma peine à y répondre... obtempérer... obéir...
Tes insistances, Ta constance, Ton entêtement... L'instance de Tes demandes...
A laquelle je finis par me plier...
Et enfin Tes mains... 

Un tremblement de tout le corps me ramène à une demi-réalité. J'ouvre un œil vitreux qui se referme aussitôt, encore perdue entre rêve et réalité, déchirée par l'envie de rester dans ce comas où je te retrouve et la réalité d'une journée morbide.
Je me niche comme je le peux, ramène haut la couette, cocon que j'aimerais ne plus jamais quitter. Douceur ouatée, chaude et compacte, enveloppe amortissant les heurts d'une vie que je n'arrive plus à maîtriser.
Je me force à replonger dans cet état de grâce, à le provoquer, mais c'est trop tard. L'instant est perdu. Comme je T'ai perdu.
J'émerge. Contre mauvaise fortune, bon cœur. L'expression de merde s'il en existe. Mauvaise fortune, c'est clair. Bon cœur, mon cul ! Je suis d'une humeur de chienne en chaleur. Qui n'a pas envie de baiser. Surtout pas baiser. Pas baiser, non ! Mais jouir, oui. De Toi.
J'ai mal au ventre et au cœur.


Semaine de "vacances".
Je suis vacante, oui. Ils sont chez leur géniteur. Je vais vaquer donc. Chouette. Je branche l'ordi, cette fameuse fenêtre sur le monde. Et je fais quoi ?
Il est 15h, je ne suis pas lavée, pas habillée, toujours affalée dans ce plumard. Je mets de la musique. Forcément une qui me fait plonger (entendre déprimer). Bien la fille, tu assures.
On va aller vers ce monde (sic) qui s'offre à nous. Je choisis un des sites auxquels je suis inscrite, le premier dans la liste en fait. Il y a des chances que je les écume tous.
Paraît que pour certaines ça marche. Je dois avoir un truc qui cloche.
Il y en a bien un qui m'a dit que j'étais égoïste, nombriliste et prétentieuse.
Oui, je pense à moi, je souffre, pour moi, je m'interroge et me torture. Parce que si je ne sais pas qui je suis, je ne suis rien. Et je ne peux rien. Et sûrement pas me reconstruire après qu'on ait détruit celle que je croyais être, que je m’efforçais d'être. Il paraît qu'il faut s'aimer pour aimer les autres, alors oui, je revendique mon nombrilisme, et mon égocentrisme n'est qu'un chemin vers une meilleure connaissance de Moi, de Toi. Et d'un éventuel Nous.
Avoir besoin, envie d'un homme, mais ne plus supporter de vivre à ses côtés.
Ne plus pouvoir accepter de subir ces petits riens, qui au bout des ans, de l'unité font le déclin.
Voir l'amour se dissoudre, à coup de dé à coudre, inconsciemment, invisiblement, inéluctablement.
Croire aux sentiments, se laisser aller à ses penchants, plonger dans ce gouffre béant.
Festoyer de son corps, embraser ses sens, y voir comme une essence.
Se plier et ployer, ou résister et regretter, se taire et s'oublier...
Mais on n'en est plus là, bien loin même.

Pour le moment, j'ai des heures à tuer. Je tue ma vie à petit feu. Je la regarde passer. Je la conjugue au passé. Je l'ai mise en aparté. En pointillé, en simagrée, entre guillemets.
Allez Ducon, fais moi rêver ! Il y en a bien un qui va sortir du lot !
C'est sûr que je pars dans le bon état d'esprit. Va ramer, toi, pour m'y faire croire.

Et pourtant, il m'avait suffit de passer une porte...

La première chose dont je me souvienne, c'est cette lumière agressive qui me vrille les pupilles, et m'oblige à baisser les paupières, une courte seconde, le temps de m'habituer. Néons surchauffés qui illuminent et aveuglent, après le carillon qui tinte et résonne quand on pousse la porte.

La seconde, c'est l'odeur de petit pain chaud, de chocolat fondu, de caramel et de vanille, de pâte, de levain, de sucre et de tous ces arômes mêlés qui font saliver. Un léger remugle de thé, et de café, de lait tiédi, fragrances douçâtres et alléchantes, invitation à l'éveil des sens, à la gourmandise, au « pourléchage de babines ». L'eau  me monte à la bouche et c'est avec impatience que je prends place dans la queue qui se forme devant moi. Je navigue dans ma bulle.

Je prends le temps qu'il m'incombe avant d'être servie, à lécher des yeux les merveilles que je m'imagine déjà enfourner sans la moindre délicatesse, juste portée par une gourmandise sans borne, alimentée par les débauches de crèmes et de décorations colorées, surchargées. Allégorie de couleurs et de formes, invitation à une appétence des plus dépravée.

Et puis, le dernier client avant moi, dont je ne vois que le dos droit et raide, presque figé, qui gesticule et s'énerve, pointe du doigt, pour que la serveuse serviable finisse par comprendre et obtempérer. Pantomime qui me fait rire sourdement.

Viens mon tour, je commande au hasard, un peu troublée sans savoir pourquoi. Réminiscence, accointance, fulgurance. Un lapsang souchong et une religieuse au café. Mes gestes sont raides et mécaniques, je montre de l'index, je fustige du regard. Je fais... sobre, conventionnel, rapide, comme privée tout à coup du bel appétit qui m'habitait il y a cinq minutes encore. Je prends place à une table. Allez savoir pourquoi, une qui lui fait face. J'ai besoin de le voir, de l'examiner, de le jauger. Ce dos, ces gestes plein d'emphase m'ont interpellée.

Du coin de l'œil, je l'observe. Il a déplié un journal dans lequel il s'absorbe, ne me laissant entrevoir que son haut front, légèrement bombé, la masse de ses cheveux ondulés. Un léger frémissement parcourt mes doigts, comme s'ils souhaitaient s'y engouffrer pour en découvrir la texture, se plonger dans cette masse soyeuse aux reflets de gaie.

Il relève la tête à intervalles réguliers pour tremper ses lèvres charnues, gourmandes, dans son cappuccino et à chaque fois je frémis, quand d'un coup de langue vif il vient lécher la crème qui s'est déposée sur sa lèvre.
Je me sens rougir, midinette que je ne suis plus depuis longtemps.
Je tente de chasser le trouble, m'attaquant à ma religieuse (la pauvre doit prier tous ses saints) mais ne lui trouve qu'un goût fade et farineux.
Je cherche à détourner mon esprit, détaillant les autres clients, mais invariablement, je reviens vers lui. Le trouble ne fait que gagner en force, quand je ne vois de lui que le haut de son crâne et ses sourcils froncés.

J'avale à la hâte le reste de mon thé, amertume des mieux venues, je laisse les vestiges de ma religieuse comme je laisserais les vestiges de mon âme et je quitte à la hâte le salon de thé, sans un regard en arrière.

J'ai tenté d'oublier, j'ai relativisé, j'ai dédramatisé, j'ai psychanalysé, j'ai « blackoutisé ».


Et ce soir j'ai envie de Toi, si fort. Ce trou dans le ventre dont on parle, il me perfore, me lamine. Cette abîme dans laquelle je meurs littéralement de replonger. Cette amputation. Une part de moi, faite par Toi, qui subsiste loin de Toi, hors de Toi, crève de Toi.
Je me saoule d'images, de souvenirs, de sensations, de délectations. Et je me dégoute d'abandons, de frustrations, de déraisons. Non.
Non... Ça ne se pouvait, pas moi.
J'ai le cœur à vif, la peau écorchée. Je voudrais hurler.
Je déconnecte et j'envoie valdinguer l'ordi. Je vais mal, suis mal, si mal de Toi. Encore imprégnée, habitée.
Je m'affale en travers du lit, en vrac.
Les pensées défilent, me saoulent, tête à l'envers. État second. Je ne comprends plus. Je ne sais plus.
Le sommeil me fuit comme je T'ai fui. La gorge barrée d'un nœud qui m’étouffe, et fait monter les larmes. Paumée. Je me recroqueville sur moi-même, fœtus expulsé trop vite et trop tôt.
Je finis par sombrer dans les méandres de Ton souvenir.


Un rai de lumière vient titiller ma rétine au travers de la paupière. Il fait beau, le soleil brille. Ça m'agresse et ça me plaît. J'essaie de jauger de l'heure à la position du soleil dans la chambre. Suis passée experte à force de levers tardifs. Doit pas être loin de midi.
Reste à savoir de quoi remplir cette demi-journée qui reste. Si je fais la liste, j'ai une multitude de choses à faire. Mais de quoi ai-je envie ?
L'envie, c'est bien ce qui me manque. Je remue un membre après l'autre, tout fonctionne. Sauf le cerveau. Je passe en revue et élimine au fur et à mesure ce que je pourrais faire. Mais merde, je n'ai franchement envie de rien ! Ni envie d'agir, ni d'être cette saleté de larve.
Ça craint.
Se bousculent tout ce que je voudrais entreprendre, portée par un élan volontariste et cette chape de plomb qui me fond à ce lit, m'y cloue, entravée par les chaînes d'un mental vacillant et déprimant.
Dans le temps j'avais une vie. Je savais qui j'étais, où j'allais, ce que je faisais. C'était simple.
Quand j'avais cette marche à suivre inscrite dans mes gênes de femme parfaite, d'épouse modèle et de mère courage.
Quand je n'écoutais que vous qui ne m'entendiez pas. Quand je m'effaçais et m'étourdissais, me bâillonnais. Quand je mourrais à vous faire vivre, exister. Quand je croyais que c'était pour la vie. A Toujours et à Jamais.
Putain de claque. Ta gueule Blanche Neige et Cendrillon, et toutes ces connes dont on nous rabâche les oreilles.
Mon homme, il n'avait rien d'un prince, non.
Il m'a minée, polluée, rabaissée. Hanté par une mère qui l'abandonnait, élevé par une grand-mère qui l'infantilisait. Et c'est de ça dont j'ai hérité. Et j'ai payé. Pour elles. Son émancipation, je l'ai construite et elle m'a détruite.
Porté à bout de bras, sur le fil instable de ses excès et de mes responsabilités. La raison ne paie pas. Jamais. J'ai retenu ça.
Suffit d'une paire de beaux seins. Et de faire bander. Et peut-être aussi de faire croire que l'herbe est plus verte...


Les beaux seins... Pour tout vous avouer, j'ai toujours eu une attirance particulière pour les seins. Non que je n'aime pas les miens, bien qu'à mon sens ils pourraient regarder un peu plus vers le haut, comme moi je le fais !
Mais le « charcutage », je le laisse aux autres, si répondre à des critères "photoshopés" entre dans la conception de certaines.  Ma vision de la femme n'est certes pas celle qu'on nous véhicule, à coup de 4x3. « Ben oui, prend bien ça dans ta gueule, en gros plan, on s'en fout, c'est retouché ». Et les pubs télé, même pas la peine d'en parler. (On pourrait, mais ce serait redondant).
Et c'est là que je suis contente de n'avoir engendré que des gars. Ça m'évite le drame de l'anorexie. Oui, je sais, je suis de suite dans l'excès. Je fais des raccourcis et je tire des conclusions hâtives. Je ne relativise pas et je conglomère, j'agglomère, et ta mère ?
Mais moi, être femme du peuple, avec bon sens commun. "Bon sens".... "Commun"... Si tu piges... Parce que les gamines que vous visez, brisez, et démolissez, les pauvresses, n'ont pas ce recul, cette froideur, cette distance, cette condescendance et cette indécence qui vous anime. J'occulte volontairement l'aspect mercantile. Trop facile celui-là.
Pis vous le connaissez par cœur, c'est celui qui vous tient. Par les couilles. Les bourses. Ça vous les serre tellement que le cerveau n'est plus irrigué ou que les finances en seraient de la même manière asséchées. Dans tous les cas, c'est pareil. Deux mots, deux concepts, une conséquence.
Hé merde, c'est pas encore du sens commun, ça ? J'en deviendrais philosophe...
Mais bon, une poitrine ferme, galbé, naturelle, qui repose parfaitement dans la paume d'une main, qui l'épouse et la remplit, s'y cale. Oui, je sais ce qu'il en est et je l'ai apprécié. Pleinement. Aurai-je tous les vices ? Toutes les perversions ? Non, je suis juste hédoniste dans l'âme. J'aime goûter aux plaisirs, et à la "chair". Sous toutes ces formes. Et les féminines sont finalement les plus appétissantes et gourmandes que je connaisse. Quand il y a en a. De la chair, de la pulpe, de la masse vivante. Donc une fois encore, les sacs d'os, au placard !
Alors oui j'ai cédé, non je n'ai pas résisté. Pourquoi aurai-je du ? Pour une fois,  je n'ai pensé ni réfléchi à rien, j'ai laissé mon instinct me porter, m'emporter.
Vous connaissez mon amie, Rachelle, ma complice de toujours. Délurée et folle, disjonctée, sans limite et sans barrière. Un peu de ce que j'aurais aimé être si je n'avais pas à être "moi".  Une amputation de moi qu'on aurait greffé sur elle.
Un presque double, dénué de mes appréhensions, de mes craintes, doutes, peurs et tous les synonymes qu'on peut trouver dans un dictionnaire dédié. Une fonceuse, une guerrière, une jusqu'au-boutiste, je-m’en-foutiste, parée de l'aura de la furia qu'elle est quand elle s'enflamme. Si souvent... Une passionaria...


Alors rien que de bien naturel à ce qu'un soir, nous nous rapprochions... Une de ces soirées filles, où on se dit qu'on va regarder des comédies sentimentales en éclusant des mojitos, et où on finit sur la VOD avec une bouteille de Jack. Bienvenue dans le monde de Barbie, Ken !
Ouais, parce qu'on a fini par jouer à la poupée... A se coller l'une à l'autre, mortes de rire,  et à se trémousser et se frotter l'air de rien. Ben "l'air de rien" le tout cumulé, à un moment, l'alcool aidant, ça finit par faire un tout. La promiscuité, le manque, c'est bien connu... Ça marche aussi sur les femmes, entre elles. Et même plutôt bien... (Et Dieu sait, si jamais il existe et en a conscience, comme toutes les deux nous avions un besoin viscéral de "Ça").
A force, quand on a fini par se retrouver les yeux dans les yeux, il n'y avait pas que du rire et de la joie dans nos regards, mais aussi de l'envie. Et même si nous avons d'abord baissé les paupières, il a bien fallu se rendre à l'évidence, quand nos pupilles se sont à nouveau croisées et que nos souffles se sont accélérés, que nos bouches se sont cherchées. Jusqu'à se trouver.
Une main qui caresse une joue, repousse une mèche de cheveux, descend le long du cou et attire le visage. Des lèvres qui en trouvent d'autres. Et s'y pressent, les léchant subtilement, langoureusement... Jusqu'à faire naitre des papillons dans le ventre. A les faire s'ouvrir pour une ronde savoureuse. Et des doigts, qui de sages se font aventureux et voyageurs. Au fil des creux et des courbes, qui survolent et s'enfoncent, révélant les zones les plus sensibles, les plus érogènes...


Nos vêtements ne sont bientôt plus qu'un tas au sol, pas besoin de ces préliminaires entre nous. Nos caresses ne sont ni innocentes ni hasardeuses... Elles savent où se niche le plaisir, où elles doivent s'appliquer. Et elles s'y appliquent. Avec intensité et... doigté... Inlassablement, mutuellement, voluptueusement. Communion de nos corps soudés...
Par les seins, dont les pointes tendues se rejoignent et s'agacent. J'y descends ma bouche, m'empare d'un téton que je gobe et suce, mordille. Quand il est à point je m'attaque à l'autre, qui de la même manière vient gonfler entre mes dents. Mes mains se joignent à moi pour les pincer et les tordre, les rouler entre mon pouce et mon index. Je les étire et les relâche. Ses seins palpitent et rebondissent,  globes de chair tendre que je cueille dans ma paume.
Par nos hanches qui ondulent de concert, par nos mains qui nous lient dans cette possession. Le plaisir gagne, jusqu'à se faire plus gourmand, insistant, dévorant. Sans même avoir besoin de l'évoquer, nous basculons, tête bêche. Et chacune nous goûtons l'autre, de la pointe de la langue, d'abord, pour savourer avec parcimonie cette fragrance un peu musquée.
J'ouvre délicatement ses lèvres, en dévoile le sommet encore à moitié érigé. Il brille, joyau niché dans son écrin de chair. Coup de langue subreptice. Un second, comme une surprise pas comprise qu'on réitère. Je le vois se contracter et frémir, cette fois curieux et attentif. Le troisième est plus appuyé, qui l'englobe tout à fait. J'appuie ma langue, la presse tout contre. Il est à moi et je le pince entre mes lèvres, l'étire et le suce, avidement. Je l'aspire, en boit le nectar, tandis que son bassin ondulant me le livre toujours mieux. Il n'en finit plus de remplir ma bouche. Je m'en délecte, léchant et pourléchant tour à tour ses lèvres et ses cuisses, pour toujours revenir sur ce tendre bourgeon que je voudrais mordre et dévorer. Il m'appelle, me nargue, comme cet antre, juste dessous, que je vois béer et se contracter.
Je ne résiste pas a y glisser mon majeur qui semble y trouver naturellement sa place, à aller et venir dans cette moiteur. Ses gémissements m'encouragent à y ajouter l'index, les deux y poursuivant leurs investigations... Je remonte le tunnel tendre de son ventre, jusqu'à trouver ce point, LE point, qui frémit là, juste sous la pulpe de mon doigt.
De petit grain, je le fais enfler à force de caresses et d'attentions, la sentant venir sous ma main, toujours plus excitée et abandonnée. Elle est maintenant arc-boutée, pressant ses seins d'une main, qu'elle malmène, la tête renversée, les yeux révulsés. Je profite de ce moment, en savoure toute l'étendue, le pouvoir.
C'est donc ça...
Je m'en goinfre, m'en délecte et m'en pourlèche. Au sens propre comme au figuré. Parce que je ne suis pas en reste, quand de son côté elle me fait subir les mêmes délices... Et que je sens mes entrailles en feu, proches de l'explosion, à venir chercher ses doigts, pour qu'il s'enfoncent toujours plus loin, que son pouce malmène la rondeur de mon clitoris tandis qu'elle s'acharne avec les autres doigts à me prendre, toujours plus fort, comme je le fais d'elle. A se repaître tout à fait de ce puits dans lequel ils finissent par s'engouffrer tout à fait, le martelant et le pilonnant sans relâche, attisant sans faillir le renflement qui nous fera exploser de concert. Jusqu'à l'extase...


N'est-ce pas là juste l'équilibre d'un couple ? Dans ce ballet des corps, à se chercher, se trouver et jouir, connaissant les troubles et le fragilités, les aspirations et les plaisirs de l'autre. A les lui faire atteindre et découvrir, à en explorer les limites et les frontières...
De ces plaisirs que seuls les êtres en phase peuvent se donner.  Et qui de mieux que deux personnes connaissant leurs corps, leurs désirs, leurs attentes, leur fantasmes, leurs tendances,  et leurs sensibilités communes pourraient y parvenir ? Notez bien que je n'ai pas dit deux femmes... Juste deux personnes...
Deux personnes avides et assoiffées d'amour, de tendresse, de sensualité, de voluptés, de... communion... Et j'ai ressenti tout ça auprès d'elle, ma presque jumelle. De cœur si ce n'est de sang. Quand bien même ce ne fût que charnel, ce que nous avions de commun n'aura été que renforcé par cet échange.
Me reviennent à l'esprit mes constantes erreurs avec les hommes, mes échecs, mes déboires, mes souffrances. Successions de déceptions, d'abandons, de dépressions...
Je m'affale dans ses bras, emplie de questions, ma tête posée contre son sein, qu'elle entoure d'un geste protecteur. Tout à coup je suis pleine de doutes, comme si la plénitude du plaisir ressenti avec elle ouvrait un nouveau gouffre. Une case se remplit, une autre s'ouvre. Je retiens la larme qui perle à ma paupière, la cueille furtivement. Elle a le goût du regret. Certainement pas celui du remord.





 CHAPITRE IV



Il fait soleil. Il faudrait, je devrais.
Et voilà, une fois de plus, quand je suis vide, c'est à Lui que je pense. Je m'en taperais la tête contre les murs. Comme s'Il  était le seul désormais capable de me faire vivre et vibrer. Me faire croire que la vie a un sens. Et que sans Lui elle n'en a pas.
Mais bordel, tu L'as jeté et rejeté, évacué, largué. Parce qu'Il avait sur toi cette emprise et que tu ne l'acceptais pas. Sois cohérente, un peu !
Ben oui, mais je ne peux plus. Je me suis battue, débattue. Ce matin, je suis alanguie dans ce lit qui Le réclame. J'ai envie de mes verts pâturages aussi.
Arides et âpres d'abord, réclamant l'onde de Son désir pour irriguer les sources qui les font verdir à nouveau, et fleurir et s'embraser. Comme Il s'entend à y parvenir.
Le temps file et je n'ai toujours pas bougé. Le soleil continue sa course sur les murs de la chambre, traçant de ses ombres des barreaux qui me retiennent prisonnière. Je reste figée.
Nos ellipses finiront bien par se croiser.
A force de volonté, puisée dans des restes d'éducation et de formatage séculaire, je me lève. Je pense à mes enfants. Même loin d'eux, ou eux loin de moi, ce besoin d'être un modèle perdure et me meut. Je vous passe la bonne blague du meuh, ou du mêêêh. Conditionnée oui, mouton qui suit le troupeau et la masse, qui se doit d'être et de faire, de montrer, démontrer et prouver. Ça reste chevillé à moi, inculqué à coup de leçons de morale, de publicités, d'images d’Épinal et de toutes ces fadaises que notre XXIième siècle n'a toujours pas su dépasser.
Il sera spirituel ou il ne sera pas, disaient nos philosophes ! Il est bien parti pour ne pas être. Je n'entrerais pas dans la polémique, mais merde, je vois plus de régression que d'avancée. De repli et de fuite, de perte et de profit, d'un spirituel, qui au lieu de rapprocher et unir, détruit et anéantit. Soit.
Pas la première fois qu'on s'adaptera. Même si ça coûte des vies. Même si c'est hypocrite, vil et écœurant, lâche et dément, hallucinant de connerie, d'une bêtise innommable, injustifiable. Et pourtant pas inéluctable, ni insoupçonnable. On savait. On a fait. On a provoqué. On a fertilisé le terreau. Paraît qu'à l'échelle mondiale, planétaire et sur le plan de l'évolution de l'univers, ça n'a qu'un moindre impact. Alors...
Autant me recroqueviller dans mon petit malheur, au moins celui-là je peux espérer influer sur lui. Même si ça me fait un peu gerber, au final.
Au fil de mes pensée, la journée passe.
Le ciel pâlit, rosit, s'enflamme et s'embrase. Caché sous quelques moutons égarés du troupeau, il me livre sa dernière ardeur. Derrière le solide voile de ma fenêtre, je le regarde s’évanouir, petite mort.
Jusqu'à demain. Mon regard s'assombrit, s'obscurcit, se pare et se moire. Cachée sous sa fausse noirceur, irisée, nacrée, la nuit luit de tous ses phares. Derrière le solide voile de mes paupières, je m'envole et m'abandonne, petite mort. Jusqu'à demain.


Et puis Noël est là... Les guirlandes cette année, ne scintilleront pas chez moi. Elles n'auront même pas le regret de ne pas scintiller. Une année perdue, encore. Si Noël est une fête, c'est celle des emmerdes et des colères. Des frustrations, des désillusions. Une année à oublier, une année à m'oublier, laisser croire et continuer d'espérer. M'investir et me pervertir dans des désirs. Même si parfois je veux y croire et que je m'y laisse aller dans un espoir.
C'est la débauche à tous les coins de rues. Entre les dégueulis de guirlandes lumineuses, de pauvres sapins sacrifiés pour finir au pied de lampadaires, travestis d'infâmes nœuds d'aluminium coloré, de vitrines parées d’igloos en polystyrène et de p'tits trains trains magiques... Où t'as vu que c'était magique le train-train ?
Ouais, je suis de mauvaise foi.


Çà se prépare aussi au boulot, ça se sent à l'effervescence qui gagne et agite tout un chacun. Pas un bureau sans déco, apanage de la fête de l'amour et du partage... Sûrement pour ça qu'ils sont de plus en plus nombreux à glander et circuler. A vouloir s'aimer et partager. Il y a prolifération de branches de gui dans le service.
Ce soir c'est "le pot de Noël". Faut s'habiller, se pomponner et parader. Passage des grands pontes, faut pas se taper la honte. Et pas passer à la tonte. Restructuration et délocalisation obligent.
J'arbore (comme arbre, de noël, suivez ?) ma plus belle robe et ma moins moche quincaillerie. Payez-moi plus et je passerai chez Cartier. Pour l'heure, j'ai fait en sorte de briller de mille feux, genre à évincer la monumentale étoile qui trône au faîte du non moins monumental arbre planté au milieu de la salle. On est dans l'outrance. Parce qu'on est une boîte qui réussit et le montre ! Pour preuve le photographe qui louvoie et tournoie dans tout ce fatras. Et que je m'évertue à fuir.
Je m'abreuve de champagne, plus chic que de dire que j'écluse. Je fais le plein d'amuse-gueules aussi. S'il y'a bien un truc qui peut "m'amuser". Je cherche du regard un groupe auquel me greffer. Je retiens un soupir de lassitude, de dégoût, d'ennui. Je les passe en revue. Presque étude sociologique, tant les comportements sont attendus, stéréotypés et caricaturaux. Je me demande un moment quelle place j'occupe dans ce panel, mais juste un moment, je n'aimerais pas la réponse.
Je repère dans un coin maman et son caniche, ou bichon, je ne sais plus. Mais son petit toutou qui se voulait des airs de chef de meute. Léger regret. Je les observe. Ils dansent et virevoltent, presque inconscients, dans cette bulle fragile des premiers émois. Légère jalousie.
Je reporte mon attention sur le groupe le plus remuant et bruyant, forcément. Ça chante et ça danse, ça saute et ça remue en cadence. Ils me font sourire et je les envie. Ô jeunesse, ma jeunesse.
C'est à ce moment que je sens ramper sur mon côté gauche une ombre qui peu à peu m'envahit et m’englobe. Sans vraiment tourner la tête, je sais que c'est le moment de tracer. Je l'ai repéré depuis un bail, qui me détaille et me soupèse, me jauge et me dissèque. Et me rend terriblement mal à l'aise.Un furieux besoin de faire pipi vient à point me tirer de ce mauvais pas. Même si je n'en ai pas envie. Je prends la tangente, donc.
Une fois solidement refermée derrière moi, je m'adosse contre la porte des toilettes, le cœur un peu battant, d'avoir marché trop vite, d'avoir fui je ne sais quoi. Je suis ridicule et je le sais. Je me plante devant la glace, yeux dans les yeux, et je m'insulte. Je soutiens mon regard. Même ça c'est difficile, parce que je ne me fais pas de cadeau. Les noms d'oiseaux (en bien plus vulgaire) fusent dans ma tête.
Pourtant, à un moment, ce ne sont plus des cris d'oiseaux que j'entends, mais plutôt des roucoulements, des roucoulades, des gazouillis et gargouillis.  Je tends l'oreille, repère la porte derrière laquelle il me semble que ce soit le plus audible.
Quand même pas ! Une seule façon de le savoir. J'entre dans la cabine voisine, grimpe sur la cuvette, jette un œil par dessus la cloison et...
Oh oui ! Oh ouiiii ! Maman bien cambrée, jupe par dessus tête, qui se fait limer. Bichon affairé, imbriqué, survolté.
Je plaque une main sur ma bouche, entre fou rire et excitation. 
Je vous passe l'image qui me vient en tête. Avec quand même toujours cette amertume. Ce qui me pousse à les regarder  aller au bout de leur plaisir. Et dans le bas ventre des papillons qui s’envolent.
Le voir aller et venir, claquer contre ses fesses relevées, rebondir pour mieux jaillir et s'enfoncer à nouveau. Les souffles rauques et les cris étouffés. Et enfin le jaillissement du plaisir, qu'il répand sur la peau rougie, malmenée, assoiffée...
Je bâts en retraite avant qu'ils n'en finissent tout à fait, regagne la salle bondée, sans savoir si la chaleur  que je ressens vient de moi ou de tous ces corps pressés, oppressés... ou de ce que je viens de surprendre.
Retour au bar. C'est là qu'on peut avoir le plus de contenance quand on est esseulée. Une coupe en main,  l'air assuré et le regard vide. je fais mine de danser, léger déhanché. Sourire figé. Radar déployé.
Forcément, je le capte en même temps qu'il me capte. Je ne baisserais pas les yeux.
Lui non plus. Ouche. Je n'étais pas préparée. Et ça pique. Fort. Il n'a donc pas lâché l'affaire et mon escapade n'y aura rien changé. Tant pis, tant mieux ? Je soutiens tant bien que mal le feu de son regard, sans savoir combien de temps je vais tenir, ni ce que je dois y lire. Par contre je sais ce que je voudrais y mettre et vu son physique, ce serait du lourd.
Mais d'où il sort, lui ? Première fois que je le vois. Un mec comme ça, ça ne s'oublie pas. J'en ai de frissons qui remontent le long du dos. Et des idées salaces en pagaille. A voir l'étincelle qui irradie littéralement de ses pupilles, je ne suis pas la seule.
C'est à ce moment qu'il amorce un pas vers moi et que ma superbe baisse à mesure qu'il s'approche. Je fais mine de m’intéresser à tout ce qui se passe autour de moi, sauf à lui. La godiche en puissance. La salive commence déjà à me manquer, et un peu le souffle aussi. Et le sol sous mes pieds quand il arrive à ma hauteur et m'adresse la parole.
- "Bonsoir..." sourire avenant, râtelier Pespsodent.
- "B..onsoir..." sourire tarte, mine écarlate.
Non, je n'ai pas bégayé, j'avalais ma gorgée.
- "Toujours un vrai bonheur ces soirées..."
Je me demande quelle est la part d'ironie. S'il y en a une.
- "Oui, l'occasion de se retrouver tous et de rencontrer ceux qu'on ne connaît pas..."
 Je me mouille à peine, tout en espérant ouvrir assez pour qu'il saisisse l'occasion de se présenter. Et ne voyez aucune allusion dans mes propos !
- "Sasha, je viens d'être muté sur le site", il me tend une main franche, vers laquelle je tend la mienne, pour le moins tremblante.
Sasha... pouvait pas se contenter d'être sexy, en plus il a le prénom qui va bien...
- "Welcome on board, Sasha ! "
Mais quelle conne, je suis vraiment au dessous de tout. Tu parles d'une originalité. Pis manquerait plus qu'il me parle anglais, now.
Je retire ma main qu'il gardait dans la sienne, fermement retenue, contenue, m'assure qu'elle n'était pas trop moite, la colle par réflexe contre les parois glacées de ma coupe. Même si c'est un peu tard. En même temps,  me faut pas trop de deux mains pour la tenir et n'en rien renverser.
Il a une présence dingue, qui m'électrise. Et encore, je n'ai pas osé le regarder dans les yeux.
J'essaie d'enchaîner vite fait.


- "Et vous nous venez d'où, comme ça, Sasha ? "
 Vazy, continue dans la connerie.
- "De Lyon, vous savez, le Beaujolais nouveau !"
Non mais il se fout de ma gueule là !
- "Et la patrie de Guignol, aussi ?"
Je note au sourire narquois, un brin surpris, que j'ai fait mouche.
- "Et des Lumières... mais seulement les frères..."
 Il sourit plus largement, me regarde avec un soupçon de gravité vite masqué par une mimique désarmante .
Je ne peux m'empêcher d'éclater d'un rire franc, auquel il se joint, et c'est maintenant plus détendus que nous continuons de deviser. J'ose jeter des regards timides vers son visage que je découvre avec à chaque fois un peu plus de plaisir, au fur et à mesure que j'en détaille les traits.
Il a tout pour lui. S'en est écœurant.  Juste ce qu'il faut de mûr pour me plaire. Ce cliché de l'homme à l'aube de la cinquantaine, grisonnant là où il le faut et des rides que le burin d'un sculpteur n'aurait su mieux marteler. Et cet esprit alerte et cette sympathie naturelle, et ce répondant et... et stop, n'en jetez plus !
Parce qu'il y a la voix suffisamment suave et grave et le regard éminemment profond et perforant,  aptes à provoquer une éruption des plus volcanique dans ma frêle constitution. Heureusement, il n'a pas reposé la main sur moi.
- "Vous dansez ?"
Oh merde ! Moment de vérité. Je redoute l'instant où il va me toucher. Si je tressaille, je suis foutue.
Il me tend la main, en une invitation à rejoindre les tréfonds de la tentation. Et j'y enfouis la mienne, tendre agneau voué au sacrifice, déjà perdue.
Et ça n'y coupe pas. Je sens chaque millimètre de ses phalanges incandescentes posées sur mes reins, quand il m'enlace. Ma tête vient trouver sa juste place dans le creux de son épaule, nichée contre son cou où palpite fougueusement son artère. J'inspire longuement dans l'espoir de reprendre pied, et ne fais que m'imprégner de son odeur, m'en délecter, nuances musquées et boisées, doux satyre qui m'entraîne dans son sillage.
Je perds pied, me raccroche à lui, resserrant cette étreinte pourtant déjà si intense. Sa main se fait dure et exigeante, me presse ardemment contre lui, nos hanches maintenant scellées, soudées. Nos ventres imbriqués, mes seins comprimés contre son torse et nos souffles qui se heurtent et s'affrontent. Mes doigts se croisent naturellement derrière sa nuque, mes ongles s'enfouissent dans ses cheveux. Il incline la tête, amène nos joues à se frôler, glisse encore, légère et subtile griffure de sa barbe naissante qui me fait frissonner, mais bien moins que la commissure de ses lèvres quand elle rejoint les miennes.
Je ferme les yeux, mon cœur palpite, vient frapper et résonner contre mes côtes, avec pour écho les battements du sien. Nos souffles se mêlent avant nos bouches.
Si elles l'avaient fait. Parce qu'il reste là, et me parle, tout bas :
- "Il va être temps pour moi de rentrer,  j'ai apprécié cette danse plus que je ne puis le dire..."
J'en reste coite. Conne en fait.
 Je le regarde se détacher de moi, me baiser la main et s'éloigner après un hochement de tête, comme si j'assistais à une scène extérieure. C'est que je suis un peu hors de mon corps, figée dans le désir, et mon cerveau n'a pas encore appréhendé la claque qu'il vient de m'infliger.


Il me faut de longues minutes pour revenir à moi, à ce moi qui fait bonne figure en toutes circonstances, et me pousse à reprendre une contenance digne et assurée. Mais je suis broyée de l'intérieur,  atterrée, foudroyée. Je longe les murs et fuis au plus vite le lieu de ma honte.






Mes souvenirs me malmènent une fois encore. Je ne me souviens plus de l'avant ni de l'après. Juste du moment. J'étais vide.  Froide, morte... avant que... avant que Tu...
Petite chienne, à Toi toute dévouée, dévorée du plaisir de Te plaire et ravagée de Ton plaisir à me voir Te plaire... Haletante et mouillée de désir à attiser le Tien, excitée de Ton excitation... Cet instant où je me suis abandonnée, offerte à Toi. Où j'ai tout lâché pour Toi, à travers Toi. Quand je ne savais plus qui de nous deux menait la danse. Moi à Te plaire, et Toi à chercher à me faire jouir. Ambivalence des sens. Complémentarité du désir et du plaisir.
Et Tu m'auras procuré les meilleurs orgasmes.
Je me réveille en sursaut et en sueur, haletante, décontenancée, abrutie, me débattant contre cette couette enroulée autour de moi comme une entrave. Il me faut un long moment pour démêler ce qui reste de mon rêve, de mes souvenirs et de ce qui les a provoqué. Mon esprit encore englué par leurs images mêlées. Toi et lui. Je cherche le lien entre mon rêve et la rencontre de la veille.


Une semaine de congés plus tard, je reprends le chemin du taff. Congés, oui parce que pas vacances. Pas avec deux guignols d'ados post-pubères qui en sont encore à s'affronter comme des coqs. Les combats dans le fumier, j'en ai eu ma dose. Mon overdose.
Je ne suis ni détendue, ni sereine. Juste un peu plus à cran en fait. Super rentrée !
Et une boule au ventre, la peur de le croiser. Je sais juste qu'il est muté ici, mais à quel poste ? Je redoute d'avoir à le côtoyer.
Je reprends mes marques, replonge le nez dans mes dossiers. Je survole mes mails et mes dossiers, sans trop m'y attarder. La matinée s'étire, entre habitude et ennui.
Rien en vue au déjeuner non plus, le self n'aura rien proposé de plus que sa bouffe insipide et son ballet de marionnettes.
Je longe les couloirs, l’œil par dessus l'épaule, montée sur ressort. Comme ces diables qui jaillissent de leur boîte. Sauf que là, c'est lui que je m'attends à voir bondir. Je navigue entre crainte et désir, peur et plaisir.
Je vais chiner une tasse de café chez maman, avec l'espoir qu'elle en lâche un peu sur sa soirée de "Noël". Il faut que je détourne mes pensées.
- "Alors ma belle,  tu en as pensé quoi de cette fiesta ? On s'est fait chier, non ?"
- "Non, c'était sympa, me suis bien amusée."
- "Ah, c'est drôle, je ne t'ai pas vu trop t'éclater, un peu engluée avec ton stagiaire ! Pas trop collant ? C'est pénible de se traîner des boulets comme ça !"
Prêcher le faux pour savoir le vrai.
- "Oh... Maxime, non, je le gère."
Elle n'ose pas me regarder franchement, mais je distingue nettement l’étincelle qui se rallume dans ses  yeux.


- "Oui, bha tant qu'on ne les a pas sur le dos à nous éreinter..."
Qui a dit que j’étais perverse ?
Elle rougit, blêmit tout à la fois, me fait oublier mes propres troubles.
- "Non, non, je l'ai présenté à quelques personnes, histoire de l'introduire."
Oui, ben s'il y en a une qui s'est faite introduire, ma belle...
Tout ça me saoule en fait. J'acquiesce, je souris, et j'avale ma tasse d'un trait.
- "Merci pour le jus, je repasse plus tard, du boulot !"


Le jeu ne m'amuse pas, je suis mal à l'aise, boule au ventre, mains moites et tremblements que je réprime à peine. Plus le temps passe et plus je boue, anxieuse, en même temps qu'impatiente et avide de le voir à nouveau.
Je m'englue dans des tâches répétitives et décérébrantes à souhait, tandis que mon inconscient se fait un méga trip. Le grand loop, le super 8, le dernier des manèges à sensation n'équivaudra jamais en rien à ce que je fantasme. J'ai le bas-ventre dur, contracté, presque calcifié autour de ce que j'imagine ressentir de lui en moi.
L’après-midi est un supplice, je vois 17 heures arriver comme une libération et me précipite vers l’ascenseur, tête basse, bélier qui fonce dans le tas. Front bas, yeux au sol, je m'engouffre. Et me heurte à un rempart. Je lève un œil  noir, prête à éructer, mais la voix m'échappe.
Ben voilà. Le voilà .
Je la ferme donc, scotchée, mouchée, déstabilisée, mutée. Renvoyée à ma fragilité, mes doutes et mes espoirs. Mes peurs de projeter, de fantasmer.  Mes rêves de petite fille romantique, mes syndromes de cendrillon et de blanche-neige.
Je ne lève pas les yeux, ne le regarde pas. Je reste dans cette position bâtarde, inapte à m'en défaire autant qu'à l'affronter. Qu'il décide.
Ce sera finalement le rez-de-chaussé qui en décidera. Et un peu sa main qui me guide derrière lui.
Je me laisse mener, privée de toute pensée, volonté. Ou si, un reste de volonté qui m’insuffle de me laisser faire. En fausse candide, je le suis, au fond de moi si heureuse. Mes doigts crispés autour des siens, il me mène, m'entraîne, dans ce recoin sombre qui me fait sourire. Chassez l'ironie, elle revient au galop.
Pourtant je n'en mène pas large et mon esprit tordu pour une fois se trouve sans voix. Je garde la tête basse, qu'il relève d'un doigt ferme sous mon menton, place mes yeux à hauteur des seins. Je les soutiens, mais le cœur n'y est pas et je les baisse. Je n'arrive pas à lutter avec lui. Je n'en ai pas envie. Il force, et de sa main m'englobe et me relève le visage, en un face à face qui finit de me perdre.
Il s'approche, toujours plus près, murmure contre ma bouche.
- "Bonsoir Lahna."
Et ses lèvres de frôler les miennes et de me rendre folle.
- "J'ai beaucoup pensé à vous."
Et sa bouche de glisser dans mon cou.
Je me rend un instant à ses lèvres avides, en savoure la chaude moiteur, avant que mon cerveau paranoïaque ne me rappelle à l'ordre. Et que je le repousse, main ferme mais suffisamment tendre pour ne pas le heurter.
Confrontation, une fois de plus, entre envie de me lâcher, profiter et ou au contraire paraître et contrôler. Et ce refus de me faire manipuler, de le laisser se jouer de moi, à disparaître et réapparaître, à me plonger dans cet état de faiblesse d'une simple caresse, pantin livré à ses caprices.
- "Sûrement, après m'avoir plantée."
Mon ton est hargneux. C'est que j'ai donné déjà à ce jeu.
Je sens la rage qui monte, et aucune envie de la retenir. J'en ai marre. J'en ai marre de ces mecs.
J'en ai usé et abusé, depuis que j'ai cette "formidable" liberté retrouvée.
Des coups, j'en ai tiré. Ben quoi ! Si on revendique l'égalité, c'est aussi celle des mots. Et des actes. Et des erreurs.
Je me suis faite baiser, retourner. Défoncer aussi, un mot que les mecs adorent, j'ai découvert ça. Après, ça dépend de l'angle sous lequel on se place. Souvent le leur, bien trop souvent le leur.
Je me suis perdue dans le cul. Ou j'ai essayé. Ça semblait si important. A aller jusqu'à foutre des vies en l'air. J'ai voulu en juger.
Et le voilà qui veut me la faire à l'envers. Encore un à ajouter à la liste des insipides « queutards « ?
Il prend un air grave, concentré, sûrement à préparer le mensonge qu'il s'apprête à me servir.
-" Je suis parti vite, en effet, mais... "
Même pas envie d'écouter la fin de sa phrase, il parle, je vois ses lèvres bouger, mais les seuls sons qui me parviennent sont ceux de la vie bouillonnante et foisonnante qui m'entoure.
Brouhahas de conversations, claquements de talons, martèlement de semelles sur ce parvis gigantesque dont les échos parviennent jusqu'à nous. Portes battantes qui s'ouvrent et se referment, odeurs mêlées de sueurs, de parfums, de fumée de cigarette, de café, de bouffe, de crasse ambiante.
Un haut le cœur me monte dans la gorge.  Je fixe son visage et tout ce que j'y trouvais de plaisant me devient d'un coup répugnant. Non. Décidément non. Et tais toi, tu me dégoûtes.
"Je vais partir vite aussi".
Et je le plante. Chacun son tour.
Je tourne les talons, essayant de garder un air digne et hautain, quand tout en moi n'est que pleurs, et ruines.




CHAPITRE V


Je n'ai pas envie de dire. Et pourtant ça me bouffe les tripes. C’est là. Une saloperie de rage. Sur laquelle je n'ai pas envie de mettre des mots. Parce que les énoncer, ce serait leur donner corps, et la force de me faire plus mal encore. Et c'est déjà bien trop que je ne peux en supporter.
Je me blesse, seule. Je me nourris de cette frustration, qui me ronge de l'intérieur. Mais la nature n'aime pas le vide et moi bien moins encore qu’elle. Personne, jamais, ne devrait me briser. Et sûrement pas eux. Eux tous. Ces mâles.
Les hommes prennent toujours, parfois ils donnent, ce qui est monnayable souvent.

Et pourtant ce soir, ça me fait mal. Vraiment. Sensation d'abandon. De n'être rien. Ou parfois juste cet objet, cet ustensile. Un de ces jouets que l'on s'offre sur un coup de folie dans un sex-shop. On le cache dans le tiroir bien fermé de sa table de nuit, presque honteux, et on l'en sort pour de brèves occasions. En cachette, quand la nuit est bien noire (ou l'appartement vide), avec dans la bouche le goût de l'interdit qui donne tant de piment. Et cette saveur du plaisir, ultime.
On en use et on en abuse, jusqu'à ce que la honte afflue, et vienne pour un temps calmer des ardeurs qui néanmoins restent vivaces, tenaces, mais qu'il faut contenir et refluer. Pour un temps. On se tient sage. Même si le corps, lui, réclame. Mais nous sommes des animaux doués de raison, n'est-ce pas ? Alors on prend sur soi, on fait ce qu'il faut. Avec toujours et malgré tout, chevillée là quelque part, cette envie. Avec toujours et malgré tout, le désir de la récidive.
Et ça recommence. Et je suis là, à chaque fois... De ces victimes amoureuses de leurs bourreaux. Syndrome de Stockholm, ils l'appellent. A la sauce cul.
Et en cette fin d'année, quand sonne l'heure des fêtes, c'est bien loin que je suis reléguée, parce que ma fête, à moi, on me l'a faite à longueur d'année et à longueur de...  Non, je vous épargne la métaphore.
Mais il n'y a décidément pas de place pour autre chose, avec moi, en ces temps, ou d'autres de la même manière en fait. Forcément. Alors, coucouche panier. La petite chienne fidèle va sagement rester à la niche et attendre qu'on lui tende à nouveau son susucre. Et surtout, qu'elle ne s'avise pas d'aboyer, ou de hurler à la lune à quel point elle hait être ainsi enchaînée et bâillonnée. Parce que là n'est pas sa place, son rôle. Brave fifille, qui attend en haletant, qu'on lui délivre la caresse qui la libèrera, le geste du maître qui la délivrera. Quand elle pourra à nouveau venir folâtrer à ses pieds, poser sa tête sur ses genoux.
Ne pas dire comme j'ai encore été assez conne pour me faire éblouir par les lumières du phare, à m'échouer sur le rivage. Naufrageur sans scrupule. Qui me maintient prisonnière depuis des mois.
Et cet imbécile de lyonnais en qui j'avais presque cru, n'aura fait que me mettre une quenelle (oui, on fait ce qu'on peut en terme d'humour !). Même si j'ai cherché par tous les moyens à lui en donner la possibilité. Jusqu'à en devenir ridicule et grotesque dans la mise en scène, pour tenter de Lui échapper. Ou pour mieux me projeter à nouveau dans Ses bras, à y trouver réconfort.
Parce que Toi.
Pas ce Toi , non mais un presque Toi. Sûrement pour ça que je me suis fais prendre au jeu, alors. Parce que je Te retrouvais un peu en Lui. Sombre imbécile de moi.


Ce Toi et ce Toi, c'est confus, je vous l'accorde ! Alors il y a Lui et Lui. Pour simplifier. Si si !
Lui, c'est une espèce de sal..... de me... dont j'ai eu la faiblesse de tomber amoureuse.
Oui.. J'ai fait ça. Moi. Je ne l'ai pas voulu, hein ! Ça m'est tombé dessus comme la peste. Le choléra. La petite vérole. La lèpre.
Un truc qui vous ronge. Qui s'empare de vous. Un truc qui vous colle à la peau et s'insinue. Que vous ne maîtrisez pas et qui vous bouffe autant de l'intérieur que de l'extérieur. La lèpre, oui ! Et une lobotomie en prime. Ça vous ôte toute conscience et intelligence, toute faculté mentale, et vous laisse en guise de cerveau une guimauve qui vous fait sourire et baver. Et acquiescer à tout ou presque. Quand bien même on fait semblant de garder un minimum de conscience et de volonté, c'est du pipeau. Ce qu'on veut garder, c'est Lui. Donc le discours c’est : "Oui, amen."
Un peu comme avec Lui, sauf qu'avec Lui, il n'y a aucune ambiguïté, jamais. Alors qu'avec Lui, il y a le chant des sirènes.
Deux hommes, une même souffrance. Une même envie. Un même besoin. Un même rejet.
Et ma dualité.
Avec Lui, j'ai cru pouvoir vivre un semblant de vraie relation. Ça avait si bien commencé. Des rendez-vous... Et je me rendais.
Peu à peu, au compte-goutte, pierre par pierre. A le laisser démonter mes barrières, mes remparts, ma citadelle. En douceur, sans forcer, à laisser fondre le mortier, qui me liait et me maintenait. A force d'attention, d'écoute et de mots cajoleurs. Qu'il maniait si bien.
Au fil des soirées, au fil des discussions, au fil des abandons. Je me libérais et m'ouvrais, m'abandonnais. Je me donnais. Éblouie et bercée, attendue et espérée, livrée et entourée, lovée dans ses bras, qui m'accaparaient et me maintenaient, me faisaient exister. Dans ses attentes et ses demandes, ses besoins. Dans ce en quoi je pensais me reconnaître et me faire comprendre de lui. Des moments d'intimité, de spontanéité, d'échange et de partage.
Une histoire comme je l'espérais, y aspirais. Ce semblant d'amour qui me manquait. Et qui faisait de lui, Lui et non pas Lui.
C'est mon âme que je lui livrais. Des espérances, des aspirations. Et mon corps aussi, mais dans une moindre mesure. Une extension de moi, qui venait donner.... corps... à moi, à....un "nous" que je croyais exister. Qui me faisait à nouveau rêver, espérer, fantasmer, miroboler... Oui, de là à inventer des mots...
Et finalement juste un simulacre de corps mêlés, de chairs et d'épidermes qui se frôlent et se frottent, de fluides, de chimie barbare et bestiale.
Quand je voulais y insuffler tout mon être.
Idiote ! Ivre de ses mots, de ses envolées. De ses échappées.
Quand il retournait à sa réalité, dont j'étais exclue, mais que j'imaginais pleine de moi. Enivrée et leurrée, oui. Si fort que je ne voulais pas y croire et que je me maintenais volontairement dans cette prison dorée. Précieuse petite prison dorée, donc chaque barreau portait un nom. Et dans lesquels je voulais me fondre. Dans lesquels je me sentait vivre. Parce qu'ils représentaient une raison d'être, pour lui. D'être par lui et pour moi aussi.


J'avais si fort besoin d'exister, que je ne pouvais le concevoir autrement que par les yeux d'un homme. Des siens. Et même si dans mes rares moment de lucidité, et au détour d'une soirée professionnelle j'ai cru pouvoir reprendre le dessus. Et qu'un Sasha sexy m'aura fait croire que je maîtrisais encore, que je pouvais contrôler, quand je ne faisais déjà plus que n'importe quoi, que me dénaturer un peu plus encore.


J'ai presque honte à cet instant. Mais il me fallait en passer par là. Je devais aller loin, très loin. Au bout. Du ridicule et de l'excès. Parce que je sais maintenant que je l'ai atteint, que je n'y ai rien gagné, que je n'ai fait que me jouer de moi...
Parce qu'à ses yeux, je n'étais rien, jamais. Mais j' ai voulu me le prouver, le provoquer. Je n'étais qu'un réceptacle. La page blanche des fantasmes qu'il me faisait croire écrire avec lui, quand il ne faisait que me les imposer, et que dans ma crédulité de femme amoureuse je pensais partager. Page sur laquelle je le laissais déverser ses perversions, ses horreurs et ses obscénités.
Celles que sa vie ne lui permettait pas de réaliser, jusque là hôte lâche et passif, spectateur d'une existence dans laquelle il se sentait enfermé, et à qui je donnais le loisir d'évoluer.
Enfin il se faisait acteur et maitre d'un scénario qu'il mènerait d'un bout à l'autre. Dans lequel il se sentirait libre de s’affranchir et se révéler. De se déverser et s'épancher. Il venait puiser à mes baisers une forme de source de jouvence, de renaissance, de renouveau. De reconnaissance, de celle qu'il n'avait, n'aurait pas ou plus.
Un souffle, chargé de possibles, de ses rêves mis entre guillemets, de ses impossibles à nouveau à portée. De ses instincts profondément enfouis qui refluent violemment et submergent, et manquent d'étouffer.
C'est pour cela qu'il me fuyait et m'appelait... En proie à ses propres tourments, quand je pensais qu'il pourrait résoudre les miens et m'en émanciper.
Nous n'auront été que des miroirs, à nous renvoyer nos manques et nos attentes, nos besoins et nos vouloirs, nos vides et nos espoirs.


Je mentirais en disant que je n'y ai pas pris plaisir, au contraire. J'y ai appris sur moi. Et je l'ai aimé. D'un amour vrai. Départi des codes classiques. De ces amours qu'on n'estime impossibles. Qui se perdent dans les méandres de l'inconscient. Amour sans retour, qui n'attend rien, dont on n'attend rien. Juste le cœur qui bât. La première pensée du matin et la dernière du soir.


Je lui ai donné, offrande silencieuse et gratuite, mon Moi tout entier. Il s'en est servi. S'en est gorgé, gargarisé. J'y ai glané, picoré, les miettes qu'il me laissait. Celles qu'on grappille et qu'on gobe vite, en cachette, avant que quelqu'un ne vienne les ramasser. Parce que ma place éphémère, je devais la défendre. Je me suis battue pour rester cette ombre. A" n'être" qu'à de brefs moments, à devoir briller, provoquer, interpeller et... exciter.
Parce que c'est là que réside le cœur de l'histoire (et j'utilise « cœur » à dessein...). A maintenir en haleine, à susciter et garder intact un désir qui ne repose sur rien. J'aurais pu être n'importe qui. J'étais juste « celle qui ».
Celle qui guette des heures durant, en silence. Celle qui sourit et se tait, quand sa poitrine brûle et qu’elle voudrait hurler. Celle qui accueille et enlace. Celle qui écoute et acquiesce. Celle qui entend et comprend. Celle qui console et réconforte. Celle qui embrasse et étreint. Celle qui ouvre les bras et les cuisses. Celle qui se prête à tout. Celle qui lui manquait dans sa vie bien rodée...

Et j'ai usé de tous ces artifices. A m'en écœurer. Me dégoûter de moi et de ce que je faisais de moi. Mais portée par un truc sans nom... Un truc. Un machin, un bidule. Quelque chose qui me dépassait et m'emportait. Me transposait. Mystique, je parlerais de foi. Foi en l'amour. En mon amour. Comme si au fond, j'espérais que mes aspirations auraient la force de transcender ses instincts en sentiments.


Quand je vous le dis, débile jusqu'au bout... Je ne sais d'où me vient cette crédulité, cette bégueulité (encore un mot à inventer). Certainement mon propre manque à combler. Et croyez bien que je le comblais. Parce que des films, je m'en suis tourné. En cinémascope, en noir et blanc, en muet, en parlant, en chantant et en dansant. Du cinéma d'art et d'essai à la super production hollywoodienne. Avec en final ces mots de conte de fées, ceux-là mêmes qui m'ont toujours fait vomir, c'est dire...
J'en ai bouffé, remâché, au plus clair de mes nuits, quand je me révélais aux plus sombres de mes pêchers. Orgueil et présomption. Oui, suis pas classique comme fille, vous l'aurez noté. Les préjugés (je préfère les appeler présomptions en ce cas, parce que... mais je stoppe parce que ça commence à faire beaucoup de parenthèse), je les... ( remplacez les "..." par ce que vous voudrez). Pour ma part, je les ... (sic).
Bravo si vous avez suivi mon raisonnement !
Si c'est hermétique, pas d'inquiétude, de toute façon, d'une manière comme d'une autre, ça n'a pas de sens. Juste une histoire de crétins qui s'affrontent et n'ont pas les couilles de se dire les choses. Ou de les assumer. Ou de les vivre simplement. De ces prétentieux intellectuels qui préfèrent crever que de dire.
Et pourtant souvent j'ai traité, vilipendé, insulté, incendié. J'ai rué, cabré. J'ai tenté de fuir, de m'émanciper, de m'indifférer. De rompre, couper, décapiter. Par tous les moyens. Directs et indirects. Volontaires ou involontaires. A le pousser à me rejeter, me déconsidérer, à me haïr même.
Tout pour ne plus être cette pâle copie de moi..
Et puis... Et pourtant... Et malgré tout... Et je vous emmerde... (quand le vous renvoie à sa propre conscience).
Vous avez déjà vécu ça ? Une journée à blanc. On se lève, on agit mécaniquement. Pas d'envie, pas de désir. A ne même pas savoir ce qu'on veut boire au saut du lit. Un café, non, trop fort. Les nerfs n'y survivraient pas. Un verre de lait, non, plus l'estomac pour. Un jus de fruit, oui. Mais y'en a pas dans le frigo...
Se réfugier devant le pc, avec une tasse de thé, de ce dernier sachet qui traînait. Siroter ce liquide frelaté. Juste parce que c'est chaud. Emmitouflé dans ce plaid en polaire pas lavé depuis des mois, parce qu'il garde ce parfum de Lui. Se recroqueviller. Position du fœtus. Toute tournée vers Lui. Avec au travers de l'écran Son pouvoir de vie et de mort.
Si ça « s'allume » vert, on a tout gagné.
Et on se rend, corps et âme on se rend. Au rendez-vous qu'Il donne... Ou pas.  Juste l'espoir qu'il y soit. Ce si fol et indicible espoir.
Voilà. Prisonnière. De moi-même, je crois. D'une nature excessive et péremptoire. Qui au delà de Lui et à travers Lui, aura cru, aura cru...
Et quand bien même j'aime me repaître des miettes, je veux aussi être une part de gâteau, de celle dont on se pourlèche. Dualité encore. Accepter et défier. Opposer et confronter. Offrir et quémander.
Des putains de miettes rassies, j'en ai bouffé pourtant. Plus que ma part. A cause d'un affreux et mielleux vieux, fallacieux poète véreux, miteux. Un vieux singe à qui l'on n'apprenait pas à faire la grimace. Si bien qu'il pouvait vous mimer toutes les émotions, les sentiments que vous espériez, pour que vous y croyiez, y plongiez, vous y noyiez.
Un vieux singe qui sautait de branche en branche, allègrement, sans le moindre signe de fatigue ou de difficulté, quoique parfois il aimait à le faire croire, crispant la mâchoire, serrant les dents sous un semblant de douleur, laissant tristement tomber la paupière, renforçant alors votre mansuétude, votre tendresse envers lui, si fier et combattif, intelligent, imaginatif et brillant, que vous ne pouviez faire autrement que de l'admirer.
Une faiblesse, une fragilité qui vous gonflait d’orgueil à  croire qu'il avait besoin de vos attentions, de vos encouragements, de votre présence chaleureuse et accorte, de vos attentions à son égard, quand il ne faisait que s'en nourrir pour regagner les forces qu'il perdait à faire le beau.
Un vieux singe assez malin pour savoir qu'il existait par le regard que vous portiez sur lui, prêt à tout pour le conserver, le provoquer, l'exalter. Mais assez pervers aussi, pour vous donner dans cette pantomime un rôle qui vous laissait à penser que vous y aviez une part, vous mettait en valeur, vous faisait briller à son côté.
Un vieux singe, qui s'accrochait donc à votre branche, le temps de reprendre quelque forces, de tester votre résistance, de pomper votre sève, de s'en nourrir, jusqu'à sauter sur la prochaine.
Un vieux beau singe rencontré dans une de ces soirées qui se veulent littéraires, et où on ne trouve finalement que des ratés qui se font mousser. Je ne sais plus trop comment j'y étais tombée. Tombée oui, parce que ça m'a fait mal à la tête. A force de les écouter, de les regarder (parce qu'il y a aussi une gestuelle, hein, quand on lit, récite ou déclame...). Faut bien donner de la force et de l'emphase au vide.
Bref, il y avait là ce beau gorille à crinière argentée. Un peu plus doué, plus expérimenté (ben oui, un vieux vous ai-je dit !) et plus séduisant, séducteur, que les autres. Enfin gorille... Tant qu'on est dans la brume. Une fois qu'on en sort, reste un babouin, à la rigueur. Malin, facétieux, drôle et pitoyable au bout du compte.
N'en reste pas moins que je me suis laissé conter fleurette,  bâtir des châteaux en Espagne ou ailleurs, jusqu'à même devenir héroïne ! Si, si ! Moi-même en personne ! Si ça c'est pas de la drague. Le gaillard fait de vous sa muse ! Si ça c'est pas le must. Comment ne pas céder, quand tu le regardes les yeux tout esbaudis de fierté. Oh ! C'est moi qui l'inspire...
Je brille pour lui, étoile qui le guide dans sa créativité, lui ouvre les voies du divin ! (Vous connaissez les "artistes", la demi-mesure c'est pas leur truc). Jusqu'au jour où...
Votre étoile s'éteint, votre rayonnement ne suffit plus à engendrer cette emphase, cette élan, ce ... Ouais, cherche un mot, mon brave. Un mot pour dire qu'il a trouvé un autre astre à faire briller. Ou une autre lune à faire luire... Rhoo, non, j'ai pas dit ça ! Oubliez ! Mais quand même.
Et bien évidemment, ça, il ne trouve pas les mots pour vous le faire savoir. Vite, fuyons !
Vieux macaque déplumé.


Et de ce Lui, (pour en revenir au sujet initial entamé en début de chapitre, veuillez agréer mes plus plates excuse...), je n'ai encore fait que me leurrer. Et comme les autres fois, au bout du compte c'est face à moi-même que je me suis retrouvée. Perdue, vide et enchaînée. A des espoirs et des faux-semblants, des mensonges et des utopies, des délires et des tromperies. Cet impossible. Ce rêve éveillé qui me guide de marécages en déserts, dans lesquels je me fourvoie, me noie et me perds.


Alors à tous les petits matous ronronnants, qui se voudraient des tigres rugissants. A tous les fantoches qui se voudraient des conquérants. A tous les éloquents qui se voudraient des dirigeants.
Fi ! Fi de vos pensées, de vos mots, de vos attitudes éculées, de vos fantasmes transposés !
Votre ridicule n'a d'égal que votre bêtise, votre égo sur-dimensionné, votre fatuité. Peut-être votre  lâcheté, votre manque d'honnêteté les surpasse-t-elle ?
Fi donc de vos simulacres,  qui au travers des autres tentent de se créer, de s'inventer, d'exister, sans s'en donner les moyens, tremblants et suants, dépassés, surpassés par ce qu'ils cherchaient sans pouvoir le gérer.
Fi de vos excuses minables, de vos balbutiements, de vos détours fumeux, quand vous jouiez si bien les braves.
Fi de vous, misérables minables.
Si "Dieu" existait, il aurait donné des couilles aux femmes.




CHAPITRE VI


Insomnie. Mon cerveau ne veut pas se débrancher, s'effacer, se taire et m'oublier. Ça fuse et ça m'use. Remugles nauséabonds, erreurs, regrets, remords. Non, pas remords. Cacophonie muette sous ma voûte crânienne. Maelström immobile sous la couette. Je finis par la rejeter d'un coup de pied rageur.
Je boue. J'implose. Je me sens nulle. Inapte, inadaptée, incapable, décalée.
Les juges sont formels. Un ex et deux ados. Je n'ai passé aucune épreuve avec brio. Recalée. Sur la touche. Dépassée. Bouffée.
Je voudrais rejeter en bloc tous ces obstacles, ces échecs, ces frustrations et ces espoirs perdus. Ces remises en cause. 
Je voudrais enfin trouver ce semblant d'équilibre... Celui où je pourrais croire que je vais me reconstruire et avancer.
Je finis par bondir hors de ce lit, lieu de torture, mue par mon instinct de survie mentale.
La nuit est noire encore. Dans son écrin, je tisse le fil d'un discours que je ne leur ferai jamais.
L'aube à beau rosir à l'horizon, le mien reste sombre.


Quand Tu me manques à faire monter mes larmes, quand ma gorge peine à expirer un souffle rauque et amer, qu'elle se resserre pour ne plus finir par exhaler qu'un cri sourd et lancinent, une plainte aiguë, stridente. Perforée par les pointes acérées d'une douleur indicible et inhumaine.
Quand de ma poitrine écorchée, écartelée, piétinée s'échappe le dernier râle, la dernière plainte, le dernier cri de mon amour pour Toi...
Quand je ne sais plus et que je me noie dans le flot de ma tristesse, de mes regrets, de mes peurs. De mes envies dévorantes, de mes désirs inassouvis et fulgurants. De mes pulsions ravageuses, de mes penchants déviants, de mes abandons libérateurs. Quand encore un matin se lève.
Encore un matin, comme dirait Goldman. Un matin où il me faut Toi.
Inéluctablement, tout me revient, l'oubli serait trop doux.




Je suis retournée dans ce salon de thé. Là où tout a commencé.
Lumières, senteurs, arômes, tout me revient en masse à la figure. Grande claque sensorielle et émotionnelle. Je tremble, j'ai des suées, je me sens avancer dans un univers cotonneux et voilé, mon champ de vision restreint à un angle infime, la tête me tourne, un ensemble de percussions a élu domicile sous mon crâne, c'est fou et dingue. Mes yeux sont des radars.
J'ai peur et j'ai envie. Il est là.
Pas seul cette fois. Un homme Lui fait face. La discussion semble acharnée et sans même les entendre, je sais tout de ce qu'ils se disent. Je suis de loin cet échange des plus enflammé et envolé, confrontation physique, gestes brusques et violents, corps engagés dans un affrontement symbolique.
J'ai l'esprit tout à coup obnubilé, tourné vers Lui, qui s'interroge et s'inquiète, s'enflamme. Je perçois Son trouble, Sa colère, je ressens Sa peine.
Je me focalise sur Ses mains, agiles, fébriles, aux doigts longs, soignées, manucurées, qui volent, écrivent et décrivent, s'emportent. Je lis en Lui.
Il doit sentir la brûlure de mon regard, nos yeux se croisent, se joignent, se fondent. Je ne peux les retirer des Siens. Il les soutient. Je contiens le cillement de paupière qui pourrait tout rompre. Le temps se fige, oui, ça arrive aussi en vrai.
Une seconde, une heure, mille ans... Je ne sais pas, je ne sais plus, mais ce que je sais, c'est l'arrêt de mon cœur, ce battement qui  perd toute notion de temps et d'espace pour ne devenir qu'un coup de poing mortel.
Je meurs ... foudroyée.
Ma conscience profite de ce moment pour me filer une grande baffe. Je l'envoie se faire foutre. Il me fixe toujours, avec un air de reproche, je sais que je suis allée trop loin, que j'ai profité, abusé. Je garde mes yeux dans les Siens, je prends un air contrit, mais si peu.
Ce que je viens de voir, c'est ce dont j'ai toujours rêvé. Le discours de Ses mains, je le veux sur mon corps, à me faire rougir et rêver, m'emporter, me sublimer et m'embraser.
Et je fais quoi de ça, maintenant ?
Je n'ai toujours pas la réponse, bien que nous ayons tenté d'y répondre, d'en explorer les possibilités, sinueuses et voluptueusement dépravées. Jusqu'à nous faire mal, nous déchirer. Nous séparer.






Je voudrais avoir des choses à vous dire. Vous vendre du rêve et du bon sentiment, du happy-end, des retournements de situations où l'héroïne voit enfin son dulciné (semble que ça marche pas au masculin, raison de plus) se précipiter dans ses bras et lui avouer son amour. Mais on n'est pas dans un soap-opera. On est dans le marasme d'une triste réalité.
Harlequin ne passera pas par moi (ça c'est pour les jeunes filles en fleur qui se sont bercées de ces inepties, et dont je ne suis pas hein !). Ça marche aussi pour les téléfilms de la 6. La fameuse ménagère débile et frustrée, qu'ils pensent alpaguer. Faut s'y résoudre, on aime nous cataloguer et nous manipuler. Ça fait des parts de marché.


J'ai aimé un homme à la folie. Pas un prince charmant. Plutôt un monstre. Monstrueusement excitant. Le grand méchant loup. Celui qui vous fait si peur qu'il vous attire autant qu'il vous rebute. Qui vous fait mouiller vos draps, de sueur à le redouter, et de vos fluides à le désirer. Celui qui vous fait trembler, qui sans être là parvient à vous transporter. Par la seule pensée de ce qu'il est capable de vous faire subir. Et subir est un faible mot. Une sublime et voluptueuse crainte, une extension des sens et de l'imagination. Une attente, un souhait, une appréhension qui vaut tout. Pour ce qu'elle apporte de vie. De cette vraie vie qui vous transperce et vous remue, enfin !
Des découvertes, des abandons. Oui, je vous en parle beaucoup au fil de ces lignes. Il serait temps que je vous les décrive...

Alors...  
Après que son ami soit parti Il est venu vers moi. Il s'est installé à ma table sans même me demander. De toute façon, j'aurais été incapable de refuser. Hypnotisée, avide, happée. Bouffée par Sa prestance et son charisme. Petite fille bien élevée qui attend qu'on lui permette de s’exprimer. Presque même de respirer. Toute une vie à me démarquer, me revendiquer et m'insurger pour en arriver là. Je ne le sais pas encore, je ne le conçois même pas. Mais...
Mais c'est le début de ma fin. Il joue de mes failles et de mes blessures, sans le savoir, ou en le sachant, et c'est Sa force. Et je vais me mettre à nu et à sang.
Il me transperce de son regard et me parle. D'une traite Il me débite qui je suis. Comme si de m'avoir jaugée de loin Lui avait suffit. J'ai eu un prof de fac comme ça, qui d'emblée m'avait renvoyé tous mes miasmes et mes fêlures à la tronche. C'est une science, un art, ou un pouvoir, malsain. Je le prends une fois de plus en pleine gueule. Et c'est toujours aussi déstabilisant, frustrant, rageant et excitant. Je suis transparente pour lui...
Ça va être compliqué  de susciter le moindre intérêt... 
Je suis béatement happée par Son regard, pendue à Ses lèvres, pas forcément pour ce qu'Il dit d'ailleurs, bercée par le ronronnement de Sa voix qui me parle de moi, me décrypte et me dit ce que j'attends et espère. 
Ah oui ? 
Non mais ! A un moment, enfin, ma conscience émerge et s'insurge. Holà ! Ben oui, ça sent la corrida et la mise à mort là ! Basta ! 
Mais pensez bien que ça aussi Il l'a prévu et anticipé. Il sait tout de moi et de mon fonctionnement. C'en est désespérant, je n'ai aucune échappée, parce qu'Il me prend au pied levé, me renvoie à moi, mon pire ennemi. Chaque argument que j'oppose, Il le contrecarre en le retournant contre moi. Avec mes mots. Bordel, je me croyais maligne.
J'ai trouvé mon « maître. ».. Et ça c'est nouveau et absolument inadmissible. 


Je reste à Le fixer, le visage de plus en plus fermé. Retenant ma colère pour ne pas Lui donner ce grain à moudre. Mais je vois bien à Son sourire que mes efforts sont inutiles. Forcément, je boue, et ça irradie par tous mes pores. Je souris en retour, d'un sourire carnassier, nuancé d'un semblant de reste de soupçon de séduction. De celle qui te sauterait à la gorge pour te dévorer, te bouffer. 
L'éclat de Ses yeux ne me laisse aucun doute sur Ses intentions, tout aussi bestiales... 
Mais voilà, c'est là que je vais T'avoir. Quand Tu me sens mûre, et que je le suis. Et que rien que pour ça, je vais Te planter. 
Contre-pied, pied-de-nez, tordue innée... 
Tu ne l'attendais pas celle-là hein ? Je Lui souris donc largement, Le remercie de ce merveilleux moment passé ensemble , de cet échange formidable, de Son don pour deviner les personnes, bien qu'Il n'ait pas tout saisi de moi. (Je ne vais pas en plus le conforter dans son idée). "J'ai à faire et des gens qui m'attendent. Je dois filer ! "
Je refuse de voir Sa mine entendue, mais accepte la carte qu'Il me tend d'un geste forcément désinvolte, si sûr que je la prenne. Et oui, je la prends ! Et je m'enfuis vite, parce que je ne sais plus comment me comporter. Et que j'ai extrêmement honte de moi.

Je suis rentrée chez moi dans un état de transe indicible. Les nerfs en pelote, à dégommer tout ce qui me tombait sous la main. Coups de pieds dans ta gueule, pov' tâche prétentieuse, 'spèce de mâle sous-membré qui se la raconte. J'ai tourné et retourné dans mes mètres carrés, arpentant les pièces sans savoir où me poser. Et j'ai du sortir, parce que ma haine et ma rage m'étouffaient.
Je suis allée dans le premier bar que j'ai croisé, celui du coin de la rue. Avec tous les vilains. Et j'ai commandé un whisky, sec. Un double, même. Et un autre après. Et encore un. Ça faisait rire mes voisins de comptoir. On a finit par philosopher sur cette saloperie de vie, entre rires et sanglots, amis de biture et de déboires, de désespoir.
Je me suis réveillée avec un mal de crâne que ne supplantait pourtant pas mon mal au cœur. Et pas parce que j'avais envie de vomir. Bien que. Mais non, pas ce mal de cœur.
Je me suis détestée, conspuée. Des lambeaux de chairs dégoulinants et sanguinolents jaillissant de ma poitrine, que je tentais d’effilocher, d'éliminer, d'évacuer.
Incapable d'accepter que la pov' tâche prétentieuse, ce soit moi. Et que quoi que je fasse, me ramène vers Lui, à l'instar de cette carte de visite, que mon indigne main a placé sur la table de chevet. Là où prennent vie mes rêves et mes fantasmes. Là où je la trouve en ouvrant les yeux, encore embués des images érotiques d'une nuit qu'Il a habitée.
Je m'en saisis avec hargne, prête à la déchirer, j'amorce le geste, et je sens en moi à ce moment précis la douleur de cette déchirure, comme physique, l'incapacité à aller au bout de mon geste. Je la jette au sol, fustigeant tant Celui qui me l'a donnée que moi, cette gourde débile, sentimentale au point d'imaginer qu'il pourrait germer quelque chose d'un terreau aussi infertile.
Mais lâche-moi pour de bon Shéhérazade ! Tes contes, tu te les carres ! Mille fois !
Lui, c'est l'histoire d'Attila qu'Il connait par cœur. Mâtinée d'un brin de Gengis Khan et de Sun Tzu, pour l'art de la guerre. Des nerfs.


Pour une fois, je suis heureuse de retourner bosser. Et je ne rêve même que d'une chose, c'est de tomber nez à nez avec Mister Parfait. Il est de ceux que je sais gérer. Les attendus prévaudront sur les déconvenues. J’arpente donc les couloirs, je ne sais toujours pas où il est affecté. Bref sondage à tous les étages. Je finis par savoir qu'il est bien plus près de moi que je n'aurais pu l'espérer. Ça ne va que m'en faciliter la tâche.
Passage aux toilettes, face à face dans la glace. Je m'arme de mon pinceau pour parfaire mon blush, grand coups en travers des pommettes. J'arrondis la bouche, cri de guerre au bord des lèvres. Je le réprime. Calme ma belle, calme.
Parée de mes peintures de guerre, je pars en chasse. J'ai suivi la piste, il me faut à présent approcher  la proie sans l'effaroucher.
Une fois longé le couloir et repéré la porte, il ne reste qu'à patienter.  La louve que je suis est prête à sortir du bois. Çà ne tarde pas. En fine stratège, j'ai préparé le coup. Dès qu'il franchit la porte, « percutage » inopiné, ramassage de dossiers, « rapprochage » obligé. Classique mais fatal. J'y compte bien. Je n 'ai pas mis ce foutu string pour rien. Je n'hésite donc pas à me pencher délibérément, lui offrant la face pas cachée du tout de ma lune, à peine masquée par un infime bout de tissu que j'ai payé une blinde et qu'on ose appeler jupe. J'y vais même sans aucun scrupule d'un mouvement de fessier qu'un ascète ne saurait soutenir. Si tu résistes à ça, je me fais bonne sœur.
Forcément, il ne résiste pas. Stratégie payante dans laquelle je m'engouffre.  Je finis de cueillir quelques feuilles en me tournant vers lui, souffle un peu court, que je lui envoie dans la figure, œil hagard, lèvres humides, bouche proche de la sienne, en cul de poule. Faut ce qu'il faut. Je plonge mes yeux dans les siens, suite de la tactique millimétrée, et attend sa réaction. Viens petit, viens...
Et croyez bien qu'il y vient.  S'en est presque frustrant de simplicité. Voyons voir la suite...
Je viens prendre un feuillet qu'il gardait, excuse pour parfaire le rapprochement. Si besoin en était, il est déjà scotché, saisissant ma main et la gardant dans la sienne qu'il vient coller à son torse. Je la presse entre mes doigts, contre son cœur palpitant, et c'est tout le flux de son système sanguin que je sens, refluant en un point stratégique, qui gonfle et qui enfle... Pas de magie, pas de secret.
Oui, il suffit de ça. Vous croyiez quoi ?
Je me retrouve face à ce que j'ai provoqué. Faut y passer ? Ou jouer encore un temps. Je le regarde, je vois sa face rougie, ses yeux englués sur ce qu'ils ne voient plus qu'en moi, cet amas de chair. Glandes mammaires et rondeurs fessières. J'implore un dieu auquel je ne crois pas. Mon Dieu, non, pas ça. Mais si. Parce que de toutes façons il n'existe pas. Pas la peine de l'appeler à la rescousse. Tu vas y passer, c'est dans l'ordre des choses. Celui que des connards ont établi. En même temps, tu l'as cherché, il ne déroge pas à la règle. Malheureusement. Allons y donc.
Sourire forcé et gestes saccadés.  Bras qui viennent "naturellement" enserrer son torse, avant d'enlacer son cou. Je me niche, tant pour masquer ma mine déconfite que pour lui faire croire à un abandon. Je le laisse susurrer à mon oreille à quel point il attendait ce moment, comme il me désire. Je lui murmure en retour combien j'en ai envie aussi, mais pas ici.
En général ça calme. Bingo !
Il se détache un peu, me regarde comme il le peut, parce qu'il avait déjà dans l'esprit des images de fantasmes indicibles, si si. Sur le bureau, la photocopieuse, ou dans les chiottes. Que du rêve. Ben non. J'ai beau avoir provoqué, par un détour pervers de la psychologie féminine, je n'en ai plus du tout envie. Me suffisait de savoir que je pouvais.
Ça me débecte en fait. T'es mort, chéri.
Je me détache de lui, le garde à bout de bras, sourire bienveillant, paroles douces et conciliantes...
- " J'en ai très envie aussi, mais ce serait de la folie, ça nuirait à nos relations de travail", et toutes les conneries que je trouve à dire. Dégage ! Sans couilles ! Je joue de quelques œillades encore, pour parfaire la chose.
Forcément il débande. Oui physiologiquement parlant, on ne peut dire autrement et passer au travers : il se retire, la queue basse. Non sans essayer de rattraper le coup. Mais non.


Dîtes-moi qu'Il existe quelque part. Pas un semblant, mais un Vrai.
Je me débats donc encore, je cherche, je tente, je provoque. Je perds à tous les coups.  "Il" n'existe pas. Je vais finir par l'intégrer.
- Tu crois ?
- Ta gueule, connasse  ! (je suis vulgaire envers moi-même, vous le savez)
Je rentre et je me mets en boucle Lara Fabian, oui celle-là même que je dénigrais. Mais quand elle chante Lama mieux que lui-même. Et je pleure. Me faut ça. Évacuer.


Au réveil rien ne va plus. J'ai la rage au ventre. Ô rage, Ô désespoir, orage. Ça tonne dehors. Mais bien moins que dedans. Mes tripes décident de s'émanciper et de ne pas me laisser en paix. Ça remue, ça bouscule, ça se noue et se tort, ça m'oblige à bondir et à agir. (Non, pas à foncer sur les gogs, pfff !) .
Mais "cette" adrénaline qui m'électrise. J'ai envie de voir la mer. J'ai besoin de voir la mer. Faut que je me noie. Au moins mes yeux en elle. Rapide réservation sur le net, juste le temps d'enfourner le nécessaire dans un sac et vite, vite, partir !


Le trajet ne m'a laissé aucun souvenir, j'y étais déjà. Je la voyais. Je la sentais. Et maintenant je suis là, le cul dans le sable, à bouffer des embruns, à sniffer de l'iode à la limite de l'overdose, à écouter les cris stridents de ses connasses de mouettes qui manquent de me déféquer dessus.
C'est trop bon. Je ferme les yeux et je laisse cette vie m'envahir.
LA vie.


Le chien qui court après son bâton dans les vagues, l'enfant qui s’extasie parce que son cerf-volant a décollé de 2 mètres, le vieux couple qui fait sa promenade de santé, main dans la main, ces jeunes cons d'amoureux qui se bécotent.
Je ferme les yeux et j'inspire, fort, très très fort. Je me nettoie l'intérieur. Je me purifie. Je me détoxifie.
Mes mains jouent machinalement avec le sable, le laissent glisser, s’effilocher, tandis que je relève la tête vers ce dernier rai de soleil. Une larme coule, pour une fois, je crois que c'est une bonne chose. Je la laisse suivre son chemin, elle doit aller au bout. Comme ce sable qui finira de couler dans ma paume, sans rien laisser qu'une infime poussière, ultime vestige qu'on essuie d'un revers de main.
Je reste là, apaisée, enfin. Les yeux perdus, flux et reflux, sac et ressac.
Le froid qui monte me surprend et m'oblige à battre en retraite. Retour à l'hôtel, désuet comme il faut, ambiance bord de mer familiale. Je monte me doucher, enfile un bon pull et un jean, noue mes cheveux à la va vite et redescends partager la vie du cru.
Assise au bar, j'observe les figures du coin qui racontent sûrement pour la énième fois leurs souvenirs de pêche miraculeuse, les tempêtes mémorables. C'est chouette. J'ai un sourire con aux lèvres. Et pour la première fois depuis longtemps, la poitrine légère.
Je passe des journées entières à marcher sur la plage. J'avale les kilomètres. Je me fatigue et me vide la tête. Je m’assois de longues heures, à la regarder. Elle me parle, me dit que le cycle de la vie ne s'arrête jamais, que je suis cette vague qui s'échoue, mais reflue et revient, toujours. Elle-même, mais autre. Avec toujours la même force, la même puissance. Après avoir brassé des milliards de grains de sable qui l'ont colorée, teintée, qui se sont mêlés à elle, et qu'elle a redéposé à chacun de ses passages sur la plage. Ils ont influé sur sa forme, sa force, mais jamais ils ne l'ont empêchée de regagner le large et de retrouver sa liberté. Elle les a elle aussi façonnés, à sa manière, et de tout cela fait cette plage immense, toujours renouvelée. Et s'il lui arrive de se faire piéger dans les bâches, à la prochaine marée, elle rejoindra à nouveau l'immensité des flots, et se brassera, se lovera dans ses bras.
Ça me donne la force, quand je voudrais abandonner. Après tout, ce serait bien aussi de se laisser aller à ses flots, se laisser entraîner.
La plage s'étale, tapis moelleux, jaunâtre, bordé d'une fange verdâtre, presque brunissante, tachetée des reflets mordorés d'un soleil moribond.
Une ligne à peine esquissée, moirée de coquillages piétinés, concassés, agglutinés, embrassés, qui blessent aux pieds.
Les empreintes moulées, chaque orteil parfaitement recomposé. Le vent qui souffle, tourneboule et rend saoule. Son chant qui hante.
Le col qui remonte, protéger cette gorge qui si souvent s'est enrouée et tue. Le bonnet qui s'enfonce, boucher ses oreilles qui si souvent ont été sourdes. Les yeux qui se plissent, comme si souvent ils ont voulu se fermer, pour toujours.
Derniers arpents, derniers tourments.
J'entre dans l'eau jusqu'aux hanches. J'avance. Je sens son rythme. Il me happe, m'appelle. Les sirènes du large me bercent et m'enchantent. Luxe, calme et volupté.
Mais non, non !
De cette énergie je me nourris et me goinfre, me gonfle. Ne surtout pas laisser des parasites me ruiner, me laminer. Je sais ce que je veux, ce que je vaux. A eux, leurs faux rêves et leurs fantasmes, leurs mensonges et leur misère. Qu'ils se contentent de leurs simulacres, à se dénaturer, se leurrer et pourrir sur pied.
Contre vents et marées. Je resterai moi. Forte et fluctuante, comme elle, à me heurter contre les falaises et les rochers, à m'adapter et me plier, sans jamais me faire dompter.

Mon histoire aurait pu s'arrêter là.
Mais ce n'était qu'une parenthèse. Il a bien fallu rentrer et laisser derrière moi ce rêve éveillé pour retrouver le cauchemar de la réalité.
C'est cliché oui, mais la vie est une succession de clichés avec lesquels on se débat. Et si ce ne sont clichés, alors faits et refaits, vus et revus, rabâchés et remâchés. Pas vrai ?
J'ai lâché mon sac dans un coin, il y est encore. Je le regarde souvent, j'y plonge le nez, il garde cette odeur d'ailleurs. Et ça me file une bonne claque, en même temps que ça me dit que c'est simple et facile d'y retourner. Ça me fait tenir. Souvent je suis à deux doigts de l'empoigner. Et un "mamaaaannn" tonitruant résonne, ou mon téléphone sonne, ou ma raison m'arraisonne.
Je suis encore un peu cette vague, mais plus vraiment. J'ai peur de la perdre. Je suis engluée dans la marée humaine. Dans les miasmes. Parfois j'entends les mouettes dans les cris stridents des klaxons.
Alors je vais humer les devantures des poissonniers. « Accro » à l'iode et à la poiscaille.
Envie si forte de tout plaquer. Tu crois qu'on peut tout recommencer ?
Alors je le ferai. Sans ce souvenir qui me minait et me tuait. Ces journées et ces nuits solitaires m'ont rendues à moi. J'ai oublié. J'ai bataillé et j'ai renié, et j'ai analysé, décortiqué et j'ai compris.


Tes mots qui m'incitaient sans me laisser le choix, ces frissons que Tu faisais monter en moi d'un regard appuyé. Tes mains qui m'invitaient sans me laisser décider, Ta bouche qui prenait sans demander, Ton corps qui s'imposait au mien, comme une évidence. Cette chaleur qui montait au creux de mon ventre et de mes reins. Cette folie dans ma tête. Ce besoin d'être à Toi, pour Toi. Ta chose. Objet de Ton désir et de Ton plaisir. Prête à tout pour Te plaire et dans la peur de Te déplaire. Vibrante et frémissante, craintive et attentive. Mon âme éperdue dans un corps que j'offrais à toutes Tes envies.


Je me souviens de la toute première fois. Je T'ai appelé. Tu savais que je le ferais. Tu n'as pas été surpris. Tu m'as donné l'adresse. Et j'y suis allée. J'ai grimpé les escaliers, me suis figée devant la porte. « Forcément », elle était entrouverte. Pénombre.  J'ai fait quelques pas, jusqu'à Toi. Je T'ai regardé, mais bien vite j'ai baissé les yeux. Juste le temps de me rendre compte que j'étais foutue.  Tu as su très vite me le faire comprendre. 
La suite, c'est ma fin. Ma perdition. Le délire et l'abandon des sens. Ta façon de me pousser hors de moi, de me faire connaître des plaisirs insoupçonnés, des voies occultes et dépravées.
J'ai plongé, je me suis noyée. Jusqu'à me découvrir et me libérer. Accepter l'inacceptable. Me perdre dans le sexe pour me dépasser.


Je me suis planté devant Toi, parce qu'il n'y avait rien d'autre à faire, n'est-ce pas ?
« Forcément », Tu m'as demandé de me déshabiller, « forcément.»... Il fallait en passer par là. Je l'ai fait. Mais pas comme Tu l'attendais, de manière craintive et apprêtée. J'ai pris sur moi et je l'ai fait. En Te regardant, droit dans le yeux cette fois. 
Et j'ai pris un temps infini pour déboutonner mon chemisier, révélant avec un soin tout calculé le soutien-gorge que j'avais choisi avec soin,  pour faire tomber au sol ce satané chemisier, puis me défaire de ma jupe et qu'elle le rejoigne. Je me dressais maintenant devant Toi. Dentelle et transparence, insolence et impertinence...
Tu as voulu que j'approche, près, tout près... Je suis venue jusque à sentir Ton souffle. Sur mon ventre, parce que « forcément » Tu étais assis, et je me dressais devant Toi, vulnérable... Tu as inspiré très fort, et Tu devais sentir mon désir. Je le sentais moi, qui m'humidifiait déjà. Mon sexe qui pulsait à la seule évocation de ce que Tu pourrais me faire. Et Tu l'as fait.
Ta main qui s'est plantée entre mes cuisses, un peu rudement, pour l'englober, et mon mouvement de hanches incontrôlé qui l'a calé dans ta paume. Comme si c'était sa place. Et Ton majeur qui s'est infiltré dans la fente palpitante. Mon souffle qui se bloque et puis s'accélère. Mon cœur au bord des lèvres. Mon cerveau déconnecté.
D'abord des caresses, ce doigt qui s'insinue, agace, relâche, et abandonne brutalement. Mon incompréhension, ma frustration, que Tu espérais. Oui. C'est bien là Ton jeu. Alors j'y joue. Je remplace Ta main par la mienne, et je me caresse, sous Tes yeux dévorants.
Je fais aller ma main entre mes cuisses, les écartant pour que Tu ne perdes pas une miette de ce jeu qui mime avec délice la pénétration et le plaisir qu'elle me procure et que Tu semblais vouloir me donner. 
Je me baise devant Toi, pour Toi. Je m'ouvre et me cambre, gémit, râle. Je Te regarde, les yeux vitreux, voilés de désir et de plaisir. Je me mors les lèvres, me presse le seins, en étire les pointes, les fais rouler entre mes doigts. J'imagine Ta bouche et Tes lèvres s'en emparer, Tes dents les mordiller.
Mes hanches vont d'avant en arrière, possédées par le sexe que Tu n'as pas encore daigné me donner.
Je ne sais plus si Tu le feras, j'ai dépassé ça, j'ai juste envie de plaisir. Et s'il passe par cette exhibition, je me donne toute à elle. Mes doigts se font rudes et inquisiteurs et c'est à ce moment que Tu me dis d'arrêter. Je mets du temps à réaliser, à accepter, à obtempérer. Je relâche doucement la pression, j'inspire et expire, retire mes doigts, lentement... Le faire me procure aussi du plaisir... Je n'ai qu'une envie, les enfoncer à nouveau, mais je me laisse guider par Ta voix me demandant d'attendre, de T'écouter, de Te faire confiance...
Tu te lèves et me prends la main, m'emmènes. Un coin reculé dans l'obscurité où je découvre une structure de bambous et un tas de cordes à leur pied. Un frisson. De peur, d'excitation ? Je suis incapable de le dire. Ma main tremble un peu dans la Tienne. Une froide suée gagne mon corps et le recouvre, tandis qu'une autre inonde mon entre-cuisses. Mon ventre frémit, se liquéfie..
Tu me places avec soin, sûr de Toi, sachant comme chaque corde doit être enroulée et nouée. Comme elle doit me faire prendre corps avec la structure qui me positionne selon Tes désirs. Chaque parcelle de mon corps répond à une vison de Ton désir, offerte et ouverte, accessible. Je suis là, à Toi. Je me plie à Tes envies, me laisse entraver, avec toujours aux tripes ce désir chevillé et tenace de me faire posséder. Parce que c'est ce qui me mène. Parce que je Te veux. 
C'est long, mais je savoure chaque instant que Tu passes à tout mettre en place, à Te voir me regarder livrée à Toi, poupée désarticulée que Tu positionnes pour Ton plaisir, qui sera le mien. 
A ce moment, je ne sais qui de nous deux en ressent le plus d'excitation. Toi à me manipuler de la sorte, ou moi,  à Te faire cadeau de mon corps. Je sais juste que j'ai une envie folle, dévorante.
Je veux que Tu en finisses pour enfin t'occuper de moi. De mon corps en effervescence.
Je suffoque à chaque passage de corde qui se fait de plus en plus précis et insistant, entre mes seins, qu'elles compriment et écartent, entre mes cuisses, écartant mes lèvres, venant presser un clitoris déjà érigé. 
je garde mes yeux rivés au Tiens et j'y vois une forme de plaisir, pas celui de la jouissance, mais celui de la possession et du pouvoir, de celui qui Te fais jouir, au delà de tout. Je sais à ce moment que ce qui T'excites, ce n'est pas moi. Juste un peu de moi, dans cette position. Je m'en fous. J'ai basculé...
Si c'est ce que Tu veux de moi. Prends le.  
Me voici comme Tu le souhaites. Tes mains et Ta bouche qui peuvent se jouer de moi. Encore. Faire naître et attiser le désir. Se promener entre mes cuisses, sur mes seins, pour se retirer, encore... Me laisser pantelante... Mais avant ça, Tu vas aller bien plus loin. Tes mains, je ne les aurais pas. Non ce serait trop facile, rapide. 
Tu choisis de prendre une fine baguette, de bambou aussi, pour la faire courir sur mon corps. Partant de la base de mon cou, elle descend, vient frôler le téton droit qui se tend irrémédiablement, comme le gauche que Tu titilles et tritures, et qui se dresse, excité par ces attouchements, ces ronds que Tu fais tout autour, ces petits coups secs que Tu lui infliges. Sensations qui m'excitent. D'autant plus quand la baguette suit la ligne de mon ventre frémissant et vient se nicher entre mes cuisses.
Je suis ligotée, ficelée, prisonnière de Toi, esclave de Ton plaisir, et de celui que Tu me donnes. Et de ce bambou. Je ferme les yeux. Je ne veux rien laisser paraître du feu qui me ronge, quand mon souffle et les gémissements que je lâche malgré moi me confondent. 
Il est là, ce semblant de sexe dont Tu me fais l'offrande, à s'insinuer toujours plus précisément et perceptiblement. Et mon désir qui croît au rythme de ses attouchements, tapotements, jusqu'à me faire crier et supplier qu'enfin Tu me prennes... 

Cette première fois aura bien résumé notre histoire. Ma soif, ma faim, mon besoin, ma dépendance de Toi. Dépendance si relative, focalisée sur ce plaisir né de l'abandon. Ce besoin de lâcher prise que Tu m'auras inculqué, à me bousculer, me "maltraiter" et me pousser, loin toujours plus loin, jusqu'à me faire dépasser et renverser les barrières que je dressais moi-même, à abattre les murs que j'avais si bien érigés.
Accepter un temps, ce besoin d'être menée, dirigée, contrôlée, quand je perdais pied.


Chaque jour je sors un peu plus la tête hors de l'eau J'essaie de surfer sur ma vague. Je me rappelle comme elle bruissait. Comme elle moussait, fière et brave. Comme elle tenait tête au ressac et ne le laissait pas refluer sans laisser sa marque d'écume. Une once de moi. Qui prend force de jour en jour.
Je lutte. Je dois apprendre à faire sans Toi, sans me perdre dans ces faux Toi.
J'ai compris maintenant.
Qu'il n'y a que moi. Tu m'as appris ça.
Mes désirs sont les miens et ils ne vivent que par moi. Tu n'étais que l'exutoire, le catalyseur. Je suis sortie de moi, par Toi, qui m'a donné la force et la rage.
M'a fait naître à moi.
Je dois affronter et assumer, sublimer. Ma vie sera ce que j'en ferais, ce que je suis.